Être au cœur des familles pour conseiller les particuliers

Expert-comptable et commissaire aux comptes
Expert-comptable

L’expert-comptable accompagne les professionnels dans leurs activités, mais il peut aussi devenir le conseiller des familles. Dans quelles circonstances peut-il intervenir ? En quoi consiste cet accompagnement ? La comptabilité des particuliers est-elle suffisamment normalisée ? Réponses à toutes les questions juridiques, financières, tutélaires et patrimoniales qui entrent dans son rôle de conseil auprès des particuliers.

Avec l’évolution de la pyramide des âges et l’augmentation du patrimoine des Français, les missions de l’expert-comptable s’étendent et seront amenées à se développer auprès des particuliers. 

L’augmentation de l’espérance de vie

Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR), publié en septembre 2022 1, indique que « l’espérance de vie instantanée à 60 ans progresse en France depuis 1945. Après avoir baissé en 2015 en raison de conditions épidémiologiques et météorologiques peu favorables, l’espérance de vie à 60 ans a progressé de nouveau entre 2015 et 2019, mais de façon ralentie par rapport aux précédentes décennies. » Ainsi, une personne arrivant à l’âge de la retraite a une espérance de vie comprise entre 23 ans pour les hommes et 27,5 ans pour les femmes. Dès lors, les besoins d’accompagnement devraient s’accroître dans de nombreux domaines : médical, social, patrimonial et administratif. 

Un revenu et un patrimoine moyen favorables aux retraités

En 2021, l’Insee a publié une étude sur le revenu et le patrimoine des ménages français 2. Cette étude indique : 

• que le niveau de vie moyen et médian de la classe d’âge 50 à 64 ans est le plus élevé parmi toutes les autres classes d’âge ; 

• que le patrimoine net et médian des 60 à 69 ans et 70 ans et plus est le plus élevé parmi les autres classes d’âge.

Ainsi, le patrimoine des retraités et notamment l’aspect protection et administration de celui-ci vont devenir un enjeu pour le législateur et les familles. Contrairement au début du xixe siècle, la « cellule familiale » a évolué vers davantage d’autonomie des individus, avec la conséquence d’une paupérisation des relations sociales et l’isolement des individus âgés. Cet isolement peut entraîner des conséquences significatives sur la détérioration du patrimoine de la personne et in fine sur son patrimoine à transmettre à ses héritiers.

Dès lors, la protection de ce patrimoine va devenir un enjeu. À noter que l’administration fiscale française a également son intérêt à voir cette protection s’accroître afin de préserver l’assiette des droits de succession. De manière cynique, nous pouvons dire que l’administration fiscale a également un intérêt à voir le patrimoine des personnes vulnérables être administré de façon à protéger ses droits futurs en matière d’impôt et de taxes.

Les missions existantes à renforcer 

Les experts-comptables bénéficient d’une reconnaissance avérée de leurs compétences auprès des particuliers en matière fiscale et également en matière d’assistance au respect des obligations administratives. Cette reconnaissance est notoirement notable auprès d’un public d’ex-chefs d’entreprise et de professions libérales, qui ont eu l’occasion de côtoyer notre profession au cours de leur période d’activité.

La vérification des droits à retraite : points et base

Dans un rapport 3 de la Cour des comptes publié le 24 mai 2022 relatif à la certification des comptes 2021 du régime général de Sécurité sociale et du CPSTI 4, il est mentionné : « En 2020, une prestation de retraite sur sept attribuée à d’anciens salariés comporte une erreur financière. Cela marque un progrès par rapport à 2020, mais la situation reste dégradée (une prestation sur neuf était erronée en 2016). Les erreurs commises par les caisses de retraite en 2021 portent sur 1,2 % du montant des prestations nouvelles et auront un impact cumulatif de 1,1 Md€ jusqu’au décès des pensionnés. S’agissant des retraites des indépendants, des incertitudes affectent la prise en compte des cotisations qu’ils ont versées et les erreurs de calcul sont incomplètement mesurées. »

Au regard de l’impact financier d’un mauvais calcul des droits à la retraite lors de la liquidation de ceux-ci, la mission de vérification des droits à la retraite devrait s’accroître et constituer la suite logique d’une mission « classique » d’expertise-comptable. En outre, pour les clients « historiques », l’expert comptable dispose nécessairement de l’historique des droits théoriques acquis dans ses dossiers de travail, ce qui facilitera le travail de réconciliation avec les données issues de la Cnav.

La mission d’assistance à l’établissement des déclarations fiscales des particuliers

À ce jour, il n’existe pas d’étude spécifique sur le taux de recours à un expert-comptable pour l’assistance aux obligations administratives. Cependant, au regard de la complexité accrue de la lecture du Code général des impôts (CGI), il est permis de penser que les particuliers, à l’instar des pratiques constatées dans d’autres pays comme les États-Unis, consultent de manière systématique un expert-comptable pour les accompagner et échanger avec l’administration fiscale.

La mission de tiers de confiance

La notion fiscale de tiers de confiance a été instaurée par l’article 68 de la loi de finances n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 rectificative pour 2010. Le paragraphe 10 du BOI-DJC-TDC 5 précise que : 

« La mission du tiers de confiance consiste exclusivement, sur la base d’un contrat ou d’une lettre de mission spécifique :

• à réceptionner les pièces justificatives déposées et présentées par le contribuable à l’appui de chacune des déductions du revenu global, réductions ou crédits d’impôt mentionnés à l’article 95 ZN de l’annexe II au CGI ;

• à établir la liste de ces pièces ainsi que les montants y figurant ;

• à attester l’exécution de ces opérations : le tiers de confiance atteste de l’existence des pièces justificatives ainsi que de la conformité et inaltérabilité des éditions, dispensant ainsi les contribuables de leur dépôt auprès de l’administration fiscale à l’appui de la concernée (déclaration annuelle de revenus et ses annexes) ;

• à assurer la conservation de ces pièces sous format papier ou sous forme dématérialisée jusqu’à l’extinction du délai de reprise de droit commun de l’administration fiscale et à les transmettre à cette dernière sur sa demande. Le recours à un tiers de confiance ne dispense pas le contribuable de conserver un exemplaire des pièces justificatives afin de répondre, le cas échéant, aux demandes de l’administration fiscale. »

La mission de tiers de confiance renforce la crédibilité de l’expert-comptable comme interlocuteur privilégié de l’administration fiscale.

La présentation des comptes de tutelle des particuliers, une mission pour demain

La mission de présentation du compte de gestion d’une tutelle nécessite impérativement de mettre en pratique l’interprofessionnalité et d’instaurer un dialogue entre le conseil de famille, le notaire, le juge, l’avocat fiscaliste (s’il y a lieu), le conseiller de gestion de patrimoine et l’expert-comptable qui aura la charge de la réalisation de cette mission.

Les acteurs de la tutelle

La tutelle est une des mesures de protection judiciaire mises en place par le législateur afin de protéger le patrimoine de la personne si celle-ci n’est plus en mesure de le faire. Il s’agit d’une mesure importante qui va restreindre les actes que ladite personne pourra juridiquement effectuer ou non.

Généralement, le tuteur est une personne de l’entourage proche de la personne à protéger. Cependant, le juge peut désigner un professionnel, dont le titre de « mandataire judiciaire à la protection des majeurs » est protégé par l’inscription sur une liste dressée par le préfet. 

Le compte de gestion

Le tuteur légal a la charge d’établir annuellement un « compte de gestion », qui devra être transmis au directeur des services de greffe du tribunal judiciaire. Le compte de gestion n’est ni plus ni moins qu’un historique des opérations d’encaissement et de décaissement de trésorerie, que l’on peut aisément rapprocher d’une comptabilité de trésorerie.

Le juge peut décider « que la mission de vérification et d’approbation du compte de gestion soit exercée à la place du directeur des services de greffe du tribunal par les personnes suivantes :

• subrogé tuteur ;

• conseil de famille ;

• expert-comptable.

Dans le dernier cas, selon le patrimoine de la personne protégée, le juge peut décider, dès réception du compte de gestion, de confier cette mission à un professionnel. 6 » 

La mission d’élaboration du compte de gestion d’une personne sous tutelle

Il existe plusieurs problématiques qu’il sera nécessaire de résoudre afin de développer cette mission :  

• un plan comptable adapté afin de normer la présentation du compte de gestion ;

• l’élaboration d’une lettre de mission précise, qui va déterminer les droits et obligations, ainsi que la répartition des rôles entre les différents intervenants ;

• la création d’une norme EDI afin de pouvoir transmettre le compte de gestion de manière dématérialisée au juge.

Les problématiques légales et réglementaires à résoudre 

À ce jour, il existe un vide juridique entre les dispositifs légaux et réglementaires prévus pour les majeurs protégés et leur articulation avec la mission de l’expert-comptable. En effet, le recours à un expert-comptable reste marginal malgré notre compétence reconnue.

D’un point de vue normatif, où devrions-nous situer cette mission ? Devrions-nous fournir une attestation concernant la cohérence et la vraisemblance du compte de gestion, où devrions-nous être plus ambitieux et proposer un niveau d’assurance supérieur ?

À partir de quel(s) seuil(s) de patrimoine à protéger souhaiterions-nous voir imposer le recours à un expert-comptable ? Au cours de la conférence, nous avons évoqué la possibilité d’avoir recours aux seuils « connus » d’imposition en matière d’impôt sur la fortune immobilière, quand bien même le majeur protégé n’effectuerait pas de déclaration d’IFI. Pour rappel, le seuil de déclaration est de 800 000 euros, ce qui s’avère relativement élevé au regard du patrimoine médian actuel des personnes se situant dans les classes d’âge les plus élevées.

Le développement des soft skills ou de l’intelligence relationnelle

Les soft skills sont un anglicisme qui n’a pas de définition précise en langue française, mais qui font référence à des compétences relationnelles. Cependant, la traduction commune est la suivante : les soft skills sont des compétences douces qui se différencient des hard skills, comprendre ici les compétences techniques acquises dans un cadre scolaire. En résumé, il s’agit de l’ensemble des compétences propres aux individus qui n’ont pas fait l’objet d’une acquisition dans un cadre scolaire, telles que : l’empathie, la créativité, la capacité de négociation.

En effet, il sera primordial de développer ses propres compétences en matière d’intelligence émotionnelle et d’affecter prioritairement les collaborateurs qui présentent ces qualités humaines. Au-delà de la « comptabilité » produite par les femmes et les hommes du chiffre, il y a des vies humaines, avec toute la sensibilité qui en découle. 

Les missions que nous proposerons aux personnes vulnérables ne doivent pas nous faire oublier le rôle « citoyen » ; ainsi les honoraires relatifs à ces missions devront naturellement être proportionnés, à défaut d’être encadrés par le législateur.

En outre, le fait de travailler pour des personnes vulnérables et de devoir rendre compte de la gestion du patrimoine au conseil de famille, et a fortiori à des personnes non versées dans la science comptable, va nécessiter le développement de compétences que l’on ne trouve malheureusement pas dans notre cursus de base. Il faut garder à l’esprit que la mission de production des comptes annuels d’une tutelle n’est pas que la simple traduction chiffrée de l’évolution d’un patrimoine, mais qu’elle peut également refléter la dégradation de la qualité de vie et/ou de la santé d’un individu. Ainsi, on veillera à s’assurer que la mission comprenne un budget significatif de temps à passer qui n’est pas nécessairement facturable.

En conclusion, la mission d’élaboration du compte de gestion d’un majeur protégé à destination du juge est une mission qui ancre pleinement l’expert-comptable au cœur des familles. En outre, cette mission, au-delà de son aspect comptable, est une mission avec une dimension citoyenne et sociétale. Sur ce dernier aspect, elle devrait permettre de donner un sens à nos missions, ce qui est de plus en plus recherché par la jeune génération de collaborateurs. 

1. Page 21 du rapport annuel du COR sur les évolutions et perspectives des retraites en France. Téléchargement : https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2022-09/RA_COR2022.pdf

2. « Revenus et patrimoine des ménages », édition 2021. Téléchargement : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/5371304/RPM2021.pdf

4. Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).

 

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