Un nouvel élan pour les dispositifs d’aide à l’investissement dans les territoires ultramarins

Expert-comptable, Président du Comité outre-mer et Corse du CNOEC
Expert-comptable, présidente du CROEC de Guadeloupe

Le choc de la crise sanitaire de 2020, brutal et violent, a ébranlé l’ensemble des économies, provoquant une déstabilisation sans précédent de tous les secteurs d’activité. Les territoires ultramarins n’ont pas été épargnés. Pour les accompagner dans leur reconstruction économique, la profession comptable s’est fortement mobilisée. Détail des mesures et dispositifs mis en place avec les pouvoirs publics.

La crise qui s’est aussi abattue sur les outre-mers, avec une force et une ampleur inédites, impose d’innover et d’imaginer des mesures et des dispositifs adaptés aux territoires ultramarins, avec en ligne de mire le scénario d’une reprise lente, envisagé dès le début de la crise. 

Ce scénario qui se confirme pour les outre-mers, avec des effets de longue traîne, est accentué avec le contexte international entre l’Ukraine et la Russie. Ainsi, cette crise économique et sociale a pris une dimension alarmante sur les territoires ultramarins, composés à 95 % de TPE, dont le niveau de rentabilité est faible et la capacité à résister à ces chocs, limitée. 

Cela a contraint, sous l’impulsion des pouvoirs publics, des responsables politiques, socio-économiques et de la société civile, à une mobilisation sans faille, et à une intelligence collective pour inventer les outils qui serviront à promouvoir la reprise économique et le développement de ces territoires. La profession comptable ultramarine a également pris part à ce défi de participer à l’effort de reconstruction de l’économie de ces territoires en avançant des propositions sortant des schémas habituels tout en permettant la prise des mesures exceptionnelles qui s’imposent. 

Des dispositifs d’aide à l’investissement 

L’atelier qui s’est tenu lors du 77e Congrès par le Comité outre-mer et Corse du Conseil national de l’Ordre s’est inscrit dans cette trajectoire. Les territoires ultramarins bénéficient d’un système d’aide fiscale à l’investissement depuis plus de 30 ans, permettant ainsi de compenser les déséquilibres structurels dont souffrent les économies de ces régions. Cet atelier, entièrement consacré aux dispositifs d’aide à l’investissement dans les territoires ultramarins, a permis de faire un tour d’horizon des dispositifs existants et de mettre en avant les difficultés ou les frottements identifiés.

Il a également permis d’informer les membres de la profession des dispositifs intéressant les clients des cabinets, désireux de s’implanter dans ces territoires proches des zones d’activité porteuses de croissance (Afrique, Amérique et Asie) et d’investir dans des projets ou des entreprises de ces régions.

Les débats de cet atelier, animés par Emmanuel Cugny, journaliste à Franceinfo, ont été l’occasion de donner la parole à Abdoullah Lala, président du Comité outre-mer et Corse du CNOEC, Dominique Maugenne, présidente du CROEC de la Guadeloupe, Olivier Serva, député de la Guadeloupe, et Jean-Christophe Thibault, fondateur associé d’Oseom Finance. En raison d’un contexte local sécuritaire très compliqué en Guyane ayant conduit à la venue d’une délégation de trois ministres dont Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des outre-mers, Carine Sinaï Boissou, présidente de la chambre de commerce et d’industrie de la Guyane, n’a pu se déplacer comme il était initialement prévu, et s’est exprimée par vidéo. Le territoire était également représenté par Naïke Bouchaut, expert-comptable à Cayenne.

Insécurité et manque de main-d’œuvre qualifiée freinent le développement économique

Les interventions respectives ont bien entendu beaucoup porté sur la question de la montée de l’insécurité sur le territoire guyanais, exacerbée par les trafics en tout genre, et par la grande misère sociale dont souffrent les Guyanais, à l’instar d’autres régions ultramarines comme Mayotte. Ce contexte d’insécurité n’est pas sans conséquence sur la situation des entreprises locales où le sentiment d’insécurité constitue un réel frein au développement économique.

Autre point de blocage, selon les deux intervenantes, celui lié au manque de compétences et de main-d’œuvre qualifiée disponible en Guyane. Selon Carine Sinaï Boissou, « on ne peut pas parler de relance de l’activité si les entreprises ne trouvent pas les moyens de produire ou d’assurer leur activité ». Dans ces conditions, comment inciter les entreprises à investir ou à développer leur exploitation en Guyane ?

Ce sentiment est totalement partagé par Naïke Bouchaut, qui pointe aussi du doigt les difficultés auxquelles sont confrontés les experts-comptables pour le recrutement de collaborateurs qualifiés.

Pour donner un nouveau souffle aux investissements dans les territoires ultramarins, Jean-Christophe Thibault, fondateur associé d’Oseom Finance, propose quant à lui de prendre des mesures radicales afin de rendre ces régions plus attractives. Selon lui, la loi sur les dispositifs d’aide n’a quasiment pas changé depuis près de 20 ans. Ainsi, et alors même que la loi Girardin reste une aide précieuse pour les entreprises ultramarines, il apparaît de plus en plus nécessaire d’en effectuer un véritable toilettage.

En effet, les imperfections de la loi apparaissant de plus en plus au grand jour et afin de rendre plus efficients les dispositifs d’aide, le législateur pourrait axer sa réflexion selon trois principes essentiels : le réalisme économique, l’attractivité et la confiance. 

Pour Dominique Maugenne, présidente du CROEC de Guadeloupe, l’insularité des territoires ultramarins justifie la mise en place de mesures spécifiques de soutien à l’économie locale. Ainsi, les secteurs industriel, agricole et touristique sont accompagnés à travers diverses aides fiscales (zone franche, déduction des investissements, crédit d’impôt…), sociales (réduction de cotisations) et aussi monétaires (subventions) qui leur permettent ainsi de se développer. 

Pour autant, l’histoire de ces territoires et donc leur construction sociale, culturelle et économique diffère. Elle mérite d’être prise en considération et d’être analysée au regard de ses implications actuelles. 

Par exemple, en Guadeloupe, le secteur tertiaire concentre 84 % des emplois, soit 10 points de plus que dans l’Hexagone, et enregistre à lui seul 85 % de la production de richesse de l’île. Parallèlement, le territoire perd en attractivité du fait du manque de compétitivité des entreprises locales, du peu d’offres d’emplois qualifiés, ce qui induit la perte des cerveaux qui préfèrent migrer vers la métropole. L’île souffre aussi d’un fort taux de chômage, deux fois et demie supérieur à celui de l’Hexagone (20,5 %), et 10 % de la population est en situation de sous-emploi.

L’idée est de partir de ce constat en considérant le potentiel d’employabilité et de richesse du secteur tertiaire. Il mériterait dès lors d’être soutenu au même titre que l’industrie, l’agriculture et le tourisme, ce qui permettrait l’installation et l’émergence de start-up et d’incubateurs d’entreprises, pourvoyeurs d’emplois et d’offres de formation. C’est ainsi l’ensemble du territoire qui pourrait devenir une zone franche bénéficiant d’exonérations et/ou d’abattements fiscaux et sociaux bénéfiques à l’ensemble des secteurs, ces mesures pouvant être limitées dans le temps et assorties de conditions d’emploi, d’effectivité de l’activité dans la zone, d’objectifs micro-économiques…

Du côté de la défiscalisation, dans l’objectif de rassurer les inves­tisseurs et de séduire davantage les financeurs étrangers, un fonds de garantie pourrait être créé. En effet, certains rechignent à se placer dans ce dispositif du fait de l’absence de visibilité sur la pérennité du projet financé, ce qui conduirait à remettre totalement en cause l’avantage fiscal obtenu  

À l’instar des fonds de garantie mis en place à l’échelle européenne, une telle structure apporterait une protection financière aux investisseurs en leur garantissant une indemnisation partielle en cas de défaillance du bénéficiaire, sous réserve d’en fixer les conditions : plafond de la garantie, conditions d’octroi et d’étude des dossiers, nature de l’activité, choix et niveau des ratios financiers, montant de la contribution financière… L’obligation d’accompagnement par un expert-comptable devient dès lors primordiale. Pour autant, ce dispositif ne pourra être possible qu’avec le concours de l’État.

Les propositions du Comité outre-mer du CNOEC

En conclusion de cet atelier, le Comité outre-mer du CNOEC a présenté les deux mesures sur lesquelles il compte travailler dans les semaines à venir. 

Tout d’abord, il convient de revoir les mécanismes de soutien aux investissements outre-mer en donnant la priorité aux projets qui créent de l’activité et de l’emploi dans les territoires. Cela revient à nous questionner sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre dans nos territoires.  Ainsi, le régime spécifique de l’aide fiscale à l’investissement en outre-mer est un bon outil pour la relance et le développement de nos économies sous réserve que des adaptations y soient apportées pour tenir compte du contexte actuel.

Le second défi essentiel pour les membres du comité est celui des compétences disponibles sur les territoires. Celui-ci souhaite proposer aux pouvoirs publics un crédit d’impôt formation outre-mer (Cifom) qui permettrait aux entreprises des territoires ultramarins d’organiser une montée en compétences de leurs collaborateurs.

Ce crédit d’impôt formation outre-mer serait dès lors assis sur les dépenses de formation de l’année civile écoulée prises en compte pour le calcul du crédit d’impôt, soit celles entrant dans l’assiette de la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance mentionnée au 2° de l’article L. 6131-1. 

Pour le Comité outre-mer, le taux du crédit d’impôt pourrait être fixé à 35 % comme cela est prévu pour les investissements en biens corporels et incorporels pour les activités éligibles.

Ici, il serait question d’étendre le bénéfice de la mesure à l’ensemble des PME « installées » sur le territoire afin de les inciter à miser sur les compétences et les ressources humaines présentes dans nos territoires. L’accent doit être mis sur le capital humain : « Il n’y a de richesse que d’hommes », comme le rappelait Jean Bodin pour faire face au déficit de compétences et de ressources humaines dont souffrent les territoires ultramarins.

Les dépenses prises en compte seraient celles réalisées sur le territoire dans le cadre de formation en présentiel ou émanant d’organismes de formation implantés dans les territoires ultramarins afin d’éviter les effets d’aubaine et la prise en charge par la dépense publique de frais de déplacement induits par des formations réalisées en dehors de ces espaces.

Olivier Serva, député de la Guadeloupe, a souligné l’importance du travail effectué par les experts-comptables sur le constat de la situation des entreprises ultramarines, constat qu’il partage totalement.

Celui-ci a également évoqué les solutions qu’il convient d’étudier afin de retrouver le chemin du développement économique, et notamment l’idée d’un renforcement des compétences par la mise en place du crédit d’impôt formation proposé par le Comité outre-mer du CNOEC.

Ce dernier s’est dit prêt à soutenir la profession sur ce point en déposant ou en appuyant un amendement qui viserait à accompagner les efforts d’investissement des entreprises des territoires ultramarins. 

À propos du Comité outre-mer et Corse du CNOEC

Le Comité outre-mer et Corse du CNOEC s’inscrit dans la continuité de l’initiative du service Info Lodeom, lancé en 2009 par le Conseil supérieur, suite de l’adoption fin 2008 de la loi pour le développement économique des outre-mers. Ce service avait pour but de décrypter, d’étudier les modalités de mise en œuvre de cette loi-cadre. Info Lodeom avait aussi permis de rapporter aux pouvoirs publics les difficultés d’application des dispositifs votés et avait fourni une assistance aux consœurs et confrères ultramarins.

Cette première initiative avait été suivie de la présence des outre-mers au Congrès des experts-comptables avec une première présence au Congrès de Strasbourg de 2009, assurant ainsi la visibilité des territoires ultramarins à travers cet évènement majeur pour notre profession.

Cette présence des régions ultramarines s’est poursuivie au fil du temps et s’est traduite par la mise en place du Comité des outre-mers en 2017 avec une mobilisation au service de la profession comptable des outre-mers.

Dans le droit fil des précédentes actions mises en œuvre, le Comité outre-mer et Corse, dans sa nouvelle composition, souhaite assurer une meilleure représentativité de la diversité et de la spécificité.

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