Quel est l’intérêt de passer à la facture électronique pour tous ?
La facture électronique a plus de 30 ans et est en passe de se déployer intensément avec la réforme prévue pour 2024-2026 en France et l’application du projet de Directive ViDA 1 à horizon 2028. Le point sur les avantages pour toutes les parties prenantes, des entreprises aux fournisseurs en passant par l’administration fiscale.
Les objectifs du déploiement de la facture électronique sont multiples. Tout d’abord, pour les entreprises, il s’agit d’une part de réduire les coûts de traitement en les automatisant, surtout pour les acheteurs, et d’autre part d’accélérer les paiements (ou de réduire les retards de paiement), notamment pour les fournisseurs PME, ce qui nécessite d’accélérer les traitements et donc de favoriser l’automatisation.
Pour cela, les acheteurs ont besoin de disposer de données de facturation pour un rapprochement automatisé avec leurs commandes, leurs réceptions ou leurs contrats de services.
De son côté, le fournisseur a besoin de savoir où en est le processus de traitement chez son acheteur. A-t-il reçu la facture ? Est-il en train de la traiter, est-elle approuvée ou faut-il procéder à un avoir ou à une correction ? Et quand elle est payée, comment la rapprocher avec son règlement ? Toutes ces questions le poussent à déranger ses clients, ce qui engendre des perturbations et du temps perdu de part et d‘autre pour le traitement des factures, sans compter les règles de métier particulières comme la nécessité de disposer d’un numéro de commande à fournir dans les factures, mais que l’acheteur n’a pas encore donné alors que la livraison des biens ou du service est facturable. Pour pallier ces difficultés, il est nécessaire de partager les processus de traitement autour de statuts de cycle de vie publiés par l’acheteur à l’intention de ses fournisseurs.
D’autre part, la facture est un document justificatif de TVA et participe à la construction du compte de résultat, donc du résultat fiscal. Cela a conduit les administrations fiscales à déployer des règles pour s’assurer de la bonne collecte de la TVA et de sa déductibilité côté acheteur.
Réduire les coûts de traitement des factures de 50 %
Pour donner quelques éléments chiffrés, on considère qu’environ 2 milliards de factures s’échangent entre entreprises en France. Le coût de traitement unitaire est estimé autour de 23 euros, dont un tiers pour le fournisseur et deux tiers pour l’acheteur. Passer à un processus de traitement automatisé avec facture électronique vient réduire ce coût d’environ 50 %. L’enjeu en matière d’optimisation du traitement est donc de l’ordre de 20 milliards d’euros par an à l’échelle de la France. Ensuite, on estime que la fraude à la TVA, aussi appelée gap TVA, se situe aux alentours de 20 milliards d’euros par an. Il s’agit à la fois d’une moindre collecte de TVA et d’une déductibilité au-delà de ce qui devrait être. Il s’agit là bien sûr d’un enjeu important pour les finances publiques, mais aussi pour une compétitivité juste entre les entreprises puisque échapper à la TVA permet de dégager des marges qui sont en fait de la compétitivité déloyale.
Enfin, les retards de paiement qui sont en grande partie dus à un traitement non optimal des factures représentent plus de 20 milliards d’euros de décalage de trésorerie, essentiellement porté par les PME et TPE.
Les solutions ont été imaginées il y a longtemps. Plus de 30 ans, en fait. Il suffirait que les entreprises s’échangent des factures électroniques sous forme de données pour permettre un traitement automatisé et rapide, accompagné d’un partage du cycle de vie sous forme de messages de retour de statuts. Facile à dire ! Mais pas si simple à faire, car les entreprises sont nombreuses et ont des systèmes d’informations et des processus très hétérogènes.
Les grands donneurs, précurseurs du déploiement
Ainsi le déploiement de la facture électronique s’est fait depuis le début des années 1990 à partir de grands donneurs d’ordres, qui ont cherché à imposer à leurs fournisseurs des pratiques qui s’adaptaient à leur besoins et solutions, que ce soit sur les formats à utiliser ou sur des règles de gestion spécifiques. Comme la mise en œuvre de ces pratiques relève d’un projet informatique, le déploiement s’est naturellement arrêté aux flux dits concentrés entre les donneurs d’ordres et leurs plus grands fournisseurs. Ensuite, il s’est développé des portails acheteurs, où les fournisseurs sont invités à venir saisir (donc re-saisir) leurs factures, ou bien plus récemment y déposer des factures sans données (PDF) avec une saisie des données essentielles nécessaires au traitement optimisé soutenu par des technologies d’OCR, voire d’IA, mais qui exigent toujours d’être complétées et validées, procédure de plus en plus demandée aux fournisseurs.
On a aussi observé le phénomène inverse où de grands fournisseurs ont mis à la disposition de leurs clients, sur leur portail, leurs factures, en général sous format PDF, c’est-à-dire sans données, charge ensuite aux clients de venir les chercher.
Ainsi, après une première vague de projets relevant du domaine de l’échange de données informatisé (EDI), en continuité des projets de supply chain 2, gérant les commandes et les livraisons/réceptions, soutenue par une première réglementation instaurant ce que nous appelons le mode EDI (facture électronique sous un format structuré, contrôle formel du format et de la présence des mentions obligatoires, tenue d’un référentiel des contreparties appelé « fichier des partenaires », tenue d’un journal des émissions et des réceptions appelé liste récapitulative), l’apparition de l’écrit électronique au début des années 2000 a conduit au développement de la facture électronique signée avec un certificat qualifié, ouvrant ainsi la voie parallèle de la facture « PDF signée », souvent accompagnée de quelques données pour soutenir le traitement.
Le principe d’égalité de traitement entre la facture papier et la facture électronique
Tout cela a fait l’objet d’une directive TVA en 2006 et d’un alignement des réglementations à l’échelle de l’Union européenne. En 2010, une directive modifiant la directive TVA de 2006 est venue instaurer un principe d’égalité papier/électronique. En effet, comme les factures papier n’ont pas à être signées, il a été considéré qu’il n’y avait pas lieu d’obliger à une signature électronique des factures électroniques. Il a ainsi été introduit un principe de conformité fiscale des factures, à savoir qu’elles devaient assurer l’authenticité de l’origine, l’intégrité du contenu et la lisibilité, de sa création à la fin de sa période de conservation (10 ans). Ce principe peut être assuré soit par le mode EDI (décrit ci-dessus), la signature électronique qualifiée, ou bien, comme mode par défaut applicable sur les factures papier ou les factures électroniques ne relevant pas des deux modes précédents, la mise en place de contrôles documentés et permanents permettant d’établir une piste d’audit fiable entre les factures et les livraisons de biens ou services dont elles sont l’objet, aussi appelée « piste d’audit fiable ».
Cela a en pratique contribué à déployer la facture électronique PDF, que s’est vue dotée de la même validité qu’une facture papier… et de la même faible capacité d’automatisation.
En 2014, au travers d’une directive traitant des factures à destination des secteurs publics de l’UE, une norme sémantique européenne (EN16931) de la facture électronique a été créée, publiée en 2017, et que toutes les entités publiques de l’UE devaient accepter en réception. Il s’agit là d’un premier retour de la facture électronique structurée, normalisée et entraînée par les entités publiques. Dans le même temps, un certain nombre de pays de l’UE, dont la France, ont accompagné l’obligation de recevoir pour les entités publiques d’une obligation d’émettre à destination du secteur public. C’est ainsi que Chorus Pro a été mis en œuvre en 2017 et s’est déployé jusqu’en 2020 pour atteindre environ 80 millions de factures électroniques traitées par an.
Un rempart contre la fraude fiscale
Pendant ce temps-là, sur un continent éloigné, à savoir l’Amérique du Sud, les administrations fiscales ont initié une démarche de centralisation des données de facturation vers l’administration à des fins de contrôle et de lutte contre la fraude à la TVA, qui s’est accompagnée très souvent d’un passage à la facture électronique. Le contrôle transactionnel continu était né, avec sa version de prévalidation (qu’on appelle aussi « clearance »), qui consiste à transmettre prioritairement les factures à une plateforme nationale qui en valide la forme, avant d’autoriser sa transmission au client, voire de se charger de la transmission, comme c’est le cas depuis 2019 en Italie.
Devant la nécessité de tous les États de mieux collecter la TVA et contrôler les entreprises, ce modèle de CTC s’est largement propagé et a vocation à s’étendre sur toute la planète à l’horizon 2030, peut-être à la seule exception de l’Amérique du Nord et de la Grande-Bretagne.
En Europe, c’est l’Italie en 2019 qui a instauré une obligation de facture électronique avec remontée d’informations de facturation vers une plateforme centrale, qui a aussi la charge de la transmission des factures électroniques aux destinataires domestiques.
En parallèle, l’Espagne, le Portugal, la Hongrie, la Grèce, la Turquie, l’Inde, la Chine, la Russie ont emboîté le pas, et finalement la France, avec la réforme 2024-2026, suivie de la Belgique, de
l’Allemagne qui se prépare, de l’Espagne qui poursuit ses travaux sur l’obligation d’émettre des factures électroniques…
Tout cela a conduit à une diversité des pratiques et des exigences des administrations fiscales à l’échelle européenne, alors que l’entente sur ce qu’est une facture électronique avait été acquise après 2010. Cela conduit à des coûts disproportionnés d’adaptation des entreprises qui agissent sur plusieurs pays de l’UE.
Ainsi, à la suite d’un rapport très complet réalisé pour la Commission européenne, dénommé ViDA (VAT in the Digital Age), un projet de directive a été publié le 8 décembre dernier, visant à imposer l’utilisation de la facture électronique pour les échanges intracommunautaires à l’horizon 2028, avec remontée de données de facturation (mentions obligatoires) en quasi-temps réel (2 jours) vers une plateforme centralisée. À cela s’ajoute le fait que la facture électronique devient la règle, sauf pour les États membres qui souhaitent maintenir la facture papier, et avec une obligation pour les États membres qui souhaitent étendre le principe d’une remonté de données de facturation vers une plateforme nationale, de le faire suivant les mêmes principes que ce qui sera exigé pour les flux intracommunautaires.
En pratique, il s’agit du modèle décentralisé mis en œuvre en France, qui va s’étendre à l’échelle européenne. Pour ce faire, la définition de la facture électronique va intégrer l’obligation de disposer des données structurées permettant une automatisation de leur traitement.
Ainsi, nous voilà dans un processus irrésistible de déploiement de la facture électronique avec des données structurées et transmission temps réel d’un flux de données vers l’administration fiscale, en passant par des plateformes nationales ou privées pour échanger et mieux contrôler les flux de factures.
Comment fonctionne la facture électronique ?
Cela nous ramène sur des sujets très opérationnels, à savoir : quelles données ? Quels formats ? Comment adresser ses factures et trouver ses destinataires ? Comment permettre aux utilisateurs de visualiser les factures si elles sont structurées dans des formats informatiques ? Et avec un sujet majeur : comment assurer une interopérabilité entre tous les acteurs de la chaîne de traitement des factures, du système d’information du vendeur à celui de l’acheteur, en passant par l’interopérabilité entre les plateformes d’émission/réception de factures électroniques.
Pour les formats, il s’agit de s’appuyer sur la norme sémantique européenne EN16931, déjà obligatoire à destination du secteur public. Mais il est nécessaire de l’enrichir pour couvrir tous les cas de gestion à basculer en électronique. Et il faut aussi tenir compte de la capacité des entreprises, notamment les PME, à créer des factures de données, et de l’habitude chez les utilisateurs de traiter des factures sur la base d’une représentation lisible de type PDF. Cela a conduit la France et l’Allemagne à développer un format hybride commun, dénommé Factur-X, qui est une facture électronique PDF, facile à lire pour les utilisateurs, dans laquelle est attaché un fichier de données structurées normalisées EN16931 de facture, qui fait partie des formats au centre de la réforme à venir en France, et permet un traitement automatisé des factures.
S’agissant de l’interopérabilité, nous sommes au milieu du gué. Beaucoup d’acteurs « historiques » ont mis en œuvre une interopérabilité point à point avec certains de leurs concurrents, développant ainsi une expérience de l’interopérabilité. La décennie 2010 a aussi permis le développement de réseaux de plateformes interopérées au travers d’un protocole qui permet de trouver automatiquement la plateforme du destinataire d’une facture et d’initialiser l’échange de factures électroniques automatiquement.
Par conséquent, beaucoup a été fait et beaucoup se prépare pour un déploiement massif et rapide de la pratique de la facture électronique. En effet, on estime qu’il y a environ 15 à 20 % de factures électroniques permettant un traitement automatisé (donc avec des données) dans l’Union européenne, avec 20 à 25 % de factures PDF additionnelles, et ce, après 30 ans de déploiement. L’objectif est donc de passer à presque 100 % de factures électroniques avec données structurées et partage de statuts de traitement à l’horizon 2028.
Cela va changer drastiquement la vie des entreprises. Tout d’abord, il va falloir qu’elles s’adaptent pour créer des factures électroniques avec un minimum de données dans le respect de la norme EN16931. Il va aussi falloir qu’elles prennent l’habitude de transmettre des statuts de cycle de vie pour mieux le partager. Enfin, le déploiement de la facture électronique avec données et centralisation des mentions obligatoires vers l’administration fiscale va aussi conduire à un alignement des pratiques sur les différents cas de gestion.
En contrepartie, les fournisseurs verront leurs factures traitées plus rapidement avec un minimum de visibilité sur l’avancement du traitement. Cette traçabilité et l’accélération des traitements permettront un développement des solutions d’accélération du paiement et de refinancement (affacturage, escompte dynamique). Coté acheteur, la systématisation de données de facturation riches et fiables permettra non seulement d’automatiser le traitement des factures mais aussi de nourrir les systèmes de gestion en données, permettant d’activer les fonctionnalités de gestion prédictive, de reporting d’activité, de reforecast, de détection des signaux faibles tant sur les fournisseurs que sur les clients.
Le chemin est tracé, il ne reste plus qu’à l’emprunter de façon organisée. Et pour ce faire, se préparer dès maintenant, car l’horizon est de moins de 15 mois pour les factures domestiques en France.
1. ViDA : VAT in the Digital Age ou TVA à l’ère du numérique, projet de directive de la Commission européenne (CE) présenté le 8 décembre 2022.
2. Chaîne logistique.