Le FEC au service de la sécurité et de la croissance

Expert-comptable

Cette rubrique s’enrichit et ouvre ses colonnes aux diplômés d’expertise comptable dont les mémoires ont reçu un prix du jury en 2021. Ce mémoire dont la synthèse est présentée dans ce numéro par Julien Royer porte sur le fichier des écritures comptables (FEC).

Depuis le 1er janvier 2014, tout contrôle fiscal commence par la remise du fichier des écritures comptables (FEC). Il s’agit d’un document présentant la comptabilité sous un format standardisé et dématérialisé. Il permet à la DGFiP d’automatiser ses contrôles et d’étudier exhaustivement les écritures comptables.

L’administration fiscale s’adapte aux évolutions technologiques pour gagner en efficacité, comme le font déjà quelques-uns de nos voisins européens. En effet, certains d’entre eux obligent la transmission régulière des données de facturation sous un format normalisé. Le fisc français rationalise ses procédures par l’intermédiaire de la technologie. À partir du FEC, elle mécanise l’analyse de la donnée pour en tirer des conclusions, comme le non-respect du droit comptable.

Six années après l’obligation généralisée du FEC, selon un sondage réalisé par l’auteur de cet article en 2019, seulement deux professionnels sur dix incluent le diagnostic du FEC dans leurs processus. En outre, selon un échantillon de 60 FEC prélevés auprès de huit experts-comptables différents, tous les FEC de l’étude comportaient des anomalies sur l’application de la réglementation comptable.

Par ailleurs, le FEC peut être un support pour automatiser des vérifications réalisées manuellement par les cabinets, comme celui de la qualité comptable ou de la TVA. Il peut aussi permettre de créer automatiquement des indicateurs de performance et répondre à un fort besoin exprimé par 65 % des TPE-PME, souhaitant avoir de l’aide dans la gestion de leurs entreprises. 

L’administration fiscale en quête d’efficacité

Depuis le 1er janvier 2014, aucun contrôle ne se réalise sans transmettre un FEC. Il représente la clé de voûte de la digitalisation du fisc, qui se numérise de plus en plus. Notamment avec l’apparition des procédures télédéclaratives, et plus récemment avec une autre façon de réaliser le contrôle fiscal. 

Cette stratégie de digitalisation a eu pour effet de créer le 29 décembre 2016 l’examen de comptabilité. Il oblige le contribuable à transmettre son FEC dans les 15 jours de la réception de l’avis de vérification. Il s’agit d’un contrôle fiscal réalisé à distance et le FEC constitue le seul support d’investigation du vérificateur.

Le FEC en Europe

Néanmoins, en France, cette transmission de l’exhaustivité des lignes comptables n’est à réaliser qu’en cas de contrôle fiscal. En la matière, un certain nombre de pays européens vont plus loin en demandant la remise régulière des données de facturation. L’Italie, depuis le 1er janvier 2019, a rendu obligatoire la communication des factures électroniques. L’Espagne oblige pour certaines entreprises à télétransmettre, dans les quatre jours à compter de la date d’émission, les factures entrantes et sortantes. En Hongrie, toute société qui émet une facture supérieure à environ 330 € doit la transmettre dans les 24 heures aux autorités hongroises. Pour la Pologne, depuis le 1er juillet 2018, tout assujetti à la TVA doit envoyer avant le 25 du mois le fichier « JPK_VAT », par voie électronique. Ce dernier contient l’enregistrement de la TVA, les achats et les ventes de ladite société.

Ces différents exemples laissent à penser que la digitalisation s’installe durablement dans bon nombre de pays européens, à des degrés plus ou moins importants. La France ne fait pas figure d’exception à ce principe puisqu’elle souhaite franchir une étape supplémentaire en la matière. En effet, l’article 153 de la loi de finances pour 2020 oblige le recours à un procédé de facturation électronique entre assujettis au plus tard le 1er janvier 2026, avec la transmission régulière à la DGFiP. Il est prévu une diffusion hebdomadaire (quatre jours suivants la fin de semaine) pour les TVA au régime normal et mensuel (sept jours suivant la fin du mois) pour les TVA avec un régime spécial.

Concernant l’utilisation du FEC, la DGFiP gagne en efficacité et acquiert une nouvelle compétence, à savoir l’exploration de la donnée en y analysant autant les aspects de fond que de forme. Elle cible directement des points de contrôle, comme l’installation de radars automatiques sur les portions d’autoroutes jugées critiques. Nous voyons de plus en plus apparaître des analyses sur la bonne application du droit comptable (exemple : le nombre d’écritures avec des numéros de pièces différents), chose qu’elle ne regardait pas systématiquement auparavant, n’ayant pas l’exhaustivité de la comptabilité, ni les outils adaptés. 

Le droit à l’erreur

Une enquête interne à la DGFiP précise que deux tiers des FEC transmis en 2017 n’étaient pas conformes. De plus, selon Maïté Gabet 1, seulement 2 % des FEC remis ont fait l’objet d’une amende. Cela laisse à penser que la DGFiP n’a pas une attitude jusqu’au-boutiste, et peut-être encore plus avec l’instauration de la loi ESSOC. Cette dernière dissocie l’erreur commise de bonne foi, de celle commise délibérément. Ce droit à l’erreur n’est valable qu’une seule fois et ne doit pas se reproduire lors d’un prochain contrôle fiscal. En conséquence, il est encore temps pour les cabinets et les entreprises de se mettre en conformité via des pratiques claires et définies.

Le FEC et l’expert-comptable 

Cette digitalisation n’est pas sans répercussion pour le technicien, car il doit s’assurer qu’il est en phase avec cette mouvance. Selon une enquête réalisée par l’auteur de cet article auprès de 202 experts-comptables répondants, sept sur dix d’entre eux n’incluraient pas le diagnostic du FEC dans leurs procédures. Par ailleurs, selon une étude sur la base de 60 FEC, chacun présentait des anomalies sur la qualité comptable 2. Il n’y a pas d’effet sans cause, il est donc nécessaire pour l’expert-comptable de s’équiper et de mettre en place des procédés pour réduire sa responsabilité. 

En effet, dans le cas d’une mission de présentation, si le professionnel du chiffre réalise la tenue des comptes de son client, alors il doit assurer la concordance de ses enregistrements. Il doit donc lui aussi acquérir cette compétence d’analyse de données, pour sécuriser et gérer les données présentées dans ses FEC. 

Il est nécessaire au préalable d’identifier les dossiers soumis à l’obligation de générer un FEC et d’axer les audits sur ceux-ci. Depuis le 1er juin 2018, une tolérance permet aux experts-comptables, dans certains cas, de ne pas valider les écritures fondant une déclaration de TVA. Il faut dans ce cas qu’il identifie les dossiers soumis ou non à cette tolérance. 

Cette validation constitue un principe comptable obligatoire pour figer les écritures. Pour les annuler, il n’est plus possible de supprimer/modifier le brouillard, mais de contre-passer l’écriture en question.

Partant de ce postulat, l’expert-comptable doit donc utiliser un guide de saisie pour intégrer correctement les écritures et l’aider à présenter un FEC conforme sur la forme et aussi sur le fond. 

Ensuite, il peut utiliser des outils du marché pour diagnostiquer les FEC, mais aussi concevoir ses propres outils. Ces derniers lui permettront d’être autonome, de les développer à son rythme et à sa convenance en fonction des problématiques identifiées. Ce type d’outil permettra au cabinet d’ausculter facilement la donnée comptable, de gagner du temps sur des tâches à faible valeur ajoutée et de réaliser des contrôles fiscaux à blanc sur mesure.

Par ailleurs, en 2016, à peine 14 % des TPE-PME ont eu recours à un expert-comptable pour avoir le conseil régulier d’un professionnel de la gestion 3. Dans ce sens, le temps gagné par l’automatisation et le FEC peut permettre de se focaliser sur du conseil à haute valeur ajoutée pour inverser cette statistique.

Le FEC comme socle incontournable pour automatiser les processus 

Quoi qu’il en soit, le FEC ne doit pas être exclusivement appréhendé sous le seul angle du contrôle fiscal et du respect du droit comptable, bien au contraire. En effet, son format standardisé peut faciliter la digitalisation d’un cabinet et aussi automatiser ses procédures internes pour lui faire gagner du temps sur des tâches sans apport pour ses clients. 

Toujours selon l’enquête réalisée auprès des 202 professionnels, seulement deux experts-comptables sur dix utilisent le FEC pour des aspects autres que fiscaux.

Le FEC représente ainsi la meilleure source d’informations pour collecter et étudier automatiquement les données qu’il contient. Quelle que soit l’entreprise, aussi bien le fleuriste de notre quartier que l’entreprise du CAC 40, la comptabilité est sans cesse servie de la même façon. Le contenant reste le même, seul le contenu varie. Le FEC possède constamment les mêmes informations aux mêmes endroits et constitue ainsi une source de gain de productivité conséquent pour mécaniser la conception de contrôles.

Une fois le contrôle imaginé, réalisé et fiabilisé, alors il est automatisable. Que ce soit avec les macros d’Excel ou un autre type de code. Le plus important n’est pas l’outil utilisé, mais le résultat obtenu, son analyse, et surtout l’utilisation qui en est faite.

Aujourd’hui nous réalisons certains travaux courants qui sont chronophages et qui n’apportent pas de valeur ajoutée aux activités courantes des clients. Il peut s’agir du contrôle de la TVA, occupant une place majeure dans les cabinets, surtout quand il faut trouver l’origine de l’écart entre la TVA théorique et la TVA sur les factures. Cette pratique implique une mobilisation de temps notable, car l’intégration et l’utilisation des données ne sont pas rationalisées.

Avant l’automatisation de la TVA prévue au plus tard en 2026, le FEC peut permettre de rationaliser cette procédure via des libellés de comptes spécifiques. L’idée sous-jacente est de standardiser le contenu du FEC par l’intermédiaire d’une norme de tenue.

En fonction des libellés du plan comptable (ex. : 445710 – TVA Collectée 20% / 706100 – Prestations de services 20%), il est possible de croiser les informations pour les capter et les reporter automatiquement dans un tableau de vérification. Cet automatisme identifie en peu de temps les erreurs d’imputation (exemple : inversion du produit avec le compte de TVA) et si les factures sont mal conçues. 

Le FEC comme socle incontournable pour favoriser la croissance 

Aujourd’hui, des solutions informatiques simplifient déjà la récupération des documents comptables, automatisent la tenue et représentent un temps précieux pour les experts-comptables. Cette automatisation va s’accélérer compte tenu de l’obligation d’émettre des factures électroniques au plus tard en 2026. 

Cette évolution permettra aux contribuables et, de fait, aux experts-comptables, de passer d’une comptabilité récapitulative (passé) à une comptabilité prédictive (futur). Dans ce sens, cette obligation va renforcer, sans nul doute, le rôle de l’expert-comptable en tant qu’acteur majeur des dirigeants pour piloter leurs entreprises au quotidien.

Si l’enregistrement est automatisé et que les moyens de contrôle le sont également, alors l’expert-comptable va gagner un temps considérable sur la réalisation des tâches à faible valeur ajoutée. Il est essentiel de souligner que 65 % des TPE-PME souhaitent être épaulées dans le pilotage de leur activité via des tableaux de bord 4. Au regard de cette nécessité exprimée par les dirigeants d’entreprise, il est donc primordial de leur transmettre des informations sur leurs performances pour qu’ils aient une meilleure visibilité sur leurs activités.

En effet, sans un radar de gestion facilitant le pilotage et limitant le risque, c’est sans base chiffrée que les clients seront contraints de décider pour sortir de l’expectative. De plus, dans un environnement concurrentiel toujours plus agressif, associé à la crise sanitaire actuelle, ils doivent prendre des décisions stratégiques rapidement.

Dans cette optique et à partir des connaissances du professionnel, il est possible de créer des indicateurs automatisés. Le FEC peut permettre de récupérer toutes les informations nécessaires pour faciliter la prise de décision, comme le chiffre d’affaires, les achats de marchandises, la marge, les charges de personnel, etc. L’ensemble de ces indications peuvent être présentées mensuellement, de manière cumulée et rapportée au chiffre d’affaires.

En outre, il est aussi envisageable de créer mensuellement des indicateurs de bilan, à savoir les dettes fournisseurs, le solde de la trésorerie et les créances clients. 

Il est même imaginable de personnaliser les indicateurs et de les présenter par activités. C’est le cas par exemple des sociétés possédant des activités de restauration et de débit de boissons. Tous ces éléments sont rapidement identifiables sur la base d’un plan comptable standardisé et de colonnes complémentaires au FEC.

Face à tous ces constats, il est nécessaire pour un cabinet de s’orienter progressivement vers ce genre de missions, et ce, pour plusieurs raisons, particulièrement pour anticiper la fin de la saisie en 2026, mais aussi pour répondre aux besoins actuels et futurs des dirigeants. 

Le FEC comme outil d’analyse de données

Aujourd’hui, le FEC peut représenter un support d’échange avec les clients de l’expert-comptable. Il peut offrir la possibilité de créer en quelques secondes un tableau de bord avec les ingrédients essentiels pour assurer le suivi courant. Il permet de répondre efficacement à un besoin patent d’aide à la gestion et de faire en sorte que l’expert-comptable s’approprie de plus en plus le statut d’expert-conseil. 

De ce fait, le FEC ne doit pas être purement utile à la DGFiP, mais surtout aux experts-comptables et à leurs clients. Il peut également servir à automatiser la création d’un tableau de flux de trésorerie ou encore à réaliser une étude sectorielle. Quoi qu’il en soit, il représente un point d’entrée standardisé permettant de générer tout type d’état. En somme, il offre à l’expert-comptable une nouvelle compétence, à savoir l’analyse de la donnée, prouvant une nouvelle fois sa faculté d’adaptation pour être au service de ses clients. 

En conclusion, les cabinets auraient tort de ne pas sentir les impacts positifs du FEC, car comme le dit un proverbe chinois : « Quand le vent du changement se lève, les uns construisent des murs et les autres des moulins à vent. » Dans ce sens, il faut voir le FEC comme une véritable opportunité réglementaire d’améliorer la qualité de l’information comptable, d’automatiser des processus internes générateurs de temps sans impact sur l’activité des clients, et de représenter un véritable appui pour proposer de nouveaux services aux dirigeants d’entreprises. 

1. Directrice du contrôle fiscal de la DGFiP au moment de son intervention le 11 janvier 2018 lors de la conférence « Systèmes de caisse et contrôle fiscal informatisé : êtes-vous prêt(e) ? » Depuis le 1er janvier 2019, elle est directrice départementale des finances publiques des Hauts-de-Seine.

2. Source : recueillies de manière confidentielle auprès de huit experts-comptables de cabinets différents.

3. Ordre des experts-comptables, Marchés de la profession comptable, 2017, Collection des études, Commission prospectives et spécialisation, p. 31.

4. Ordre des experts-comptables, Marchés de la profession comptable, 2017, Collection des études, Commission prospectives et spécialisation, p. 43.

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