Facturation électronique : retour sur 5 cas d’usage les plus courants
La facturation électronique est un défi complexe à relever. Avec ses spécificités variées selon les secteurs et les situations, comment les traduire en flux digitaux ? Une question que s’est posée l’administration fiscale pour identifier 36 cas d’usage. Retour sur les processus définis pour les 5 cas les plus courants, de la gestion des notes de frais à celle des doublons de facture.
La facture entre assujettis établis en France pour les opérations situées à la TVA en France devra respecter un certain format (CII, UBL ou format hybride type Factur-X), comporter un certain nombre de données (parmi les mentions obligatoires) au format structuré et être envoyée entre le fournisseur et le client par l’intermédiaire de plateformes (article 289 bis du Code général des impôts [CGI]). Certaines données seront adressées à l’administration fiscale pour compléter les déclarations de TVA. Les opérations internationales et les opérations avec des particuliers feront l’objet d’une simple transmission de données (e-reporting) à des fins de détermination de l’assiette de TVA collectée. Sous réserve de l’adoption de la loi de finances pour 2024, alors ce dispositif entrera en vigueur à compter de 2026, et fin 2027 (en émission pour les plus petites entreprises).
Néanmoins, derrière le vocable « facturation électronique » se cache une pluralité de cas particuliers. La direction de projet Facturation électronique, placée au sein de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), a construit avec l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE), en concertation avec les éditeurs de logiciels et les entreprises, le dossier des spécifications externes en ligne sur le site www.impots.gouv.fr (https://www.impots.gouv.fr/specifications-externes-b2b). Ce dossier comprend deux parties : un document général de spécifications générales sur le dispositif, et une partie « Cas d’usage » présentant 36 cas destinés à détailler le traitement de factures ou circuits de facturation particuliers, certains pouvant articuler facturation électronique et e-reporting.
Nous avons sélectionné ici plus particulièrement 5 cas d’usage rencontrés souvent par les entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur d’activité.
Les notes de frais
Ces deux situations – cas d’usage : frais payés par des collaborateurs avec facture au nom de l’entreprise (n° 5) ou sans (n° 6) – sortent de l’usage général en raison de l’apparition d’un tiers qui s’intercale entre le fournisseur et le client : le collaborateur d’une entreprise (« tiers payeur ») paye une prestation ou un bien pour le compte de son entreprise.
Cet achat pourra faire l’objet d’une facture si le collaborateur donne le nom de son entreprise (collaborateur d’un assujetti à la TVA établi en France – B2B) ou non, s’il se présente comme un particulier (B2C).
Ces deux cas d’usage s’adressent en fait au fournisseur plutôt qu’à son client, en lui indiquant la conduite à tenir dans ces deux configurations :
• le collaborateur donne le nom de son entreprise et demande à ce qu’une facture soit réalisée. Le fournisseur se trouvera en situation de « e-invoicing » ;
• le collaborateur ne spécifie rien, il est donc, aux yeux du fournisseur, un particulier : la transaction devra faire l’objet d’un « e-reporting » de données de transaction.
Du point de vue du fournisseur, en matière de modalités de transmission des informations relatives à cette transaction (e-invoicing ou e-reporting), les choses paraissent assez simples à mettre en œuvre.
Des complications pourraient toutefois apparaître dans la pratique pour le fournisseur et l’entreprise client.
Le fournisseur
Ce cas pourrait par exemple concerner un restaurateur. L’une des difficultés consistera pour ce dernier à gérer, à l’instant T (à la fin du repas, moment de « rush »), la demande du salarié demandant une facture au nom de son entreprise. Comment s’organisera-t-il ? Sur le moment, en sachant que la réalisation d’une facture électronique demandera certainement plus de temps que l’édition d’un simple ticket de caisse papier. Cette option nécessitera que le restaurateur soit équipé d’outils lui permettant de gérer en parallèle sa caisse et un outil de facturation.
Si à l’opposé il choisit de réaliser la facture a posteriori, après le « rush » du service, il faudra qu’il ait pu malgré tout recueillir et conserver les données nécessaires à l’édition de cette facture (n° Siren de l’entreprise, détails de la prestation vendue, éventuellement l’identité du tiers payeur souhaitant apparaître sur la facture pour se faire rembourser).
En sachant que le collaborateur aura probablement demandé l’émission d’un ticket de caisse, en parallèle, pour conserver une trace de la transaction qu’il aura payée, se prémunir d’un éventuel oubli de facturation par le restaurateur et disposer d’une pièce justificative à annexer à sa note globale de frais (ce qui pourra placer le fournisseur dans le cas d’usage n° 30, détaillé un peu plus loin dans cet article, mais peut permettre de faciliter la gestion de la situation en fin de service).
Le restaurateur devra également être en mesure de gérer dans sa comptabilité (tout comme il doit le faire aujourd’hui) des flux d’encaissements relatifs à des transactions/clients de caisse et ceux relatifs à des prestations ayant fait l’objet d’une facture… (à moins de tout comptabiliser dans le même compte client).
L’entreprise cliente
• Dans le cas où le salarié n’a pas demandé de facture. Le collaborateur présentera à son employeur une note de frais, avec à l’appui le ticket de caisse ou la note de restaurant qui lui aura été remis.
Du point de vue du client, ce cas de figure est complètement en dehors du périmètre de la facturation électronique.
Mais cette option génère un risque de non-déductibilité et de non-récupération de la TVA afférente, l’émission d’une facture étant obligatoire dans le cadre d’une transaction intervenant entre deux professionnels assujettis à la TVA (risque strictement identique à celui existant à ce jour alors que le dispositif de facturation électronique ne s’impose pas encore à nous).
À moins que cette transaction ne rentre dans le cadre d’une mesure de simplification : facture de faible montant (< 150 € HT – cf. BOI-TVA-DECLA-30-20-20-20-20131018) ou mesures applicables à certaines activités (péages, restauration – cf. BOI-TVA-DECLA-30-20-10-10).
Et par ailleurs, le client ne bénéficie pas de la logique d’automatisation qui va de pair avec la facture électronique.
• Dans le cas où le salarié a demandé l’établissement d’une facture. Des difficultés comptables principalement : cette facture sera probablement comptabilisée de façon automatisée avec l’ensemble des autres flux d’achats dans un compte fournisseur, lequel ne sera pas classiquement soldé (par un débit sur le compte bancaire entreprise) puisque payé par le salarié.
Cette transaction nécessitera donc un traitement comptable particulier : interface avec le compte de frais du salarié, éviter la double comptabilisation de la charge (la facture électronique reçue et la pièce justificative fournie à l’appui de la note de frais du salarié).
Si l’entreprise dispose de plusieurs collaborateurs générateurs chacun de leur côté d’un certain nombre de factures « payées pour compte », on anticipe facilement les difficultés de gestion que ces situations vont générer.
À noter qu’une facture payée par un collaborateur pourrait être enregistrée en tant que telle dès l’émission de la facture, le nom du collaborateur pouvant être indiqué dans un bloc « payeur » de la facture : le solde du compte fournisseur (et le paiement par le salarié) pourrait donc être comptabilisé dès l’enregistrement comptable de la facture.
Cette situation n’est pas nouvelle. La vraie nouveauté réside dans le fait qu’aujourd’hui, l’administration fiscale ne dispose d’aucune information sur les transactions réalisées au fil de l’eau, et ne peut faire aucun lien avec les montants portés sur les déclarations de TVA. À l’ère de la facturation électronique, l’administration pourra constater, « en direct », les divergences entre les montants de TVA portés sur les CA3 et les transactions qui auront été portées à sa connaissance. Aujourd’hui, les écarts par rapport à la règle fiscale ne se voient pas.
Dans une perspective de simplification et de sécurisation fiscale, les entreprises ont tout intérêt à aménager leurs modes de fonctionnement et devraient peut-être réfléchir à :
• se doter d’abonnements chez des opérateurs capables de gérer des frais de carburant, de péages avec une facture de synthèse en fin de mois, et débit sur le compte de l’entreprise, les salariés étant dotés de cartes spécifiques les dispensant de payer lors de chaque transaction ;
• de se doter de cartes de paiement au nom de la société, mais spécifiquement attribuées à des salariés générant régulièrement des frais de déplacement et de bouche.
Ce sont les experts-comptables de ces entreprises qui doivent les amener à réfléchir à ces sujets au plus tôt et à faire des propositions facilitatrices à leurs clients.
L’opération ayant été transmise en e-reporting faisant l’objet d’une facturation électronique a posteriori
Ce cas – n° 30 des spécifications, mais pouvant être concomitant avec celui des notes de restaurant (cas 28) et rejoindre le point 1 – concerne plus particulièrement les opérateurs qui détiennent un logiciel de caisse informatisé, et font majoritairement de la vente au détail, mais dont la clientèle contient à la fois des particuliers et des professionnels qui vont enregistrer ces opérations dans leur logiciel et dont le client peut demander une facture a posteriori après passage en caisse.
Par principe, la facture doit être une facture électronique respectant les formats et transitant entre des plateformes de dématérialisation. Cependant, la transaction a d’abord été enregistrée dans le logiciel de caisse et a déjà pu faire l’objet d’un e-reporting.
Deux situations distinctes sont à envisager du côté du fournisseur ou du côté du prestataire.
Le fournisseur annule l’opération dans le logiciel de caisse (annulation, opération, émission d’un ticket de remboursement ou d’un avoir) avant émission de la facture :
• la transaction ne ressort pas dans le CA du jour sur le ticket récapitulatif (ticket Z journalier). Elle n’est pas incluse dans le e-reporting du jour ;
• la facture émise est une facture classique, avec mention de la TVA.
En revanche, si la transaction a été enregistrée et n’est pas annulée dans le logiciel de caisse, son montant va être intégré dans le chiffre d’affaires du jour et être inclus dans le e-reporting de la journée. Dans ce cas, le fournisseur ou le prestataire devra appliquer sur sa facture électronique le cadre de facturation « TVA déjà collectée » pour neutraliser la TVA qui y est mentionnée sur la facture électronique et éviter une double comptabilisation par la DGFiP sur la déclaration de TVA.
Concernant l’acheteur, pour déduire la TVA, il a l’obligation de recevoir une facture (sauf tolérance administrative sur les opérations inférieures à 150 € HT). S’il reçoit un ticket de caisse, il doit demander une facture. Il n’a aucune action à effectuer au regard de la facturation électronique ou du e-reporting.
L’autofacturation
Dans le cadre de l’autofacturation, c’est le client qui va émettre lui-même sa propre facture pour le compte de son fournisseur (sous couvert d’un mandat de facturation). Avec la facturation électronique, le client va déposer sa facture sur sa plateforme qui va l’adresser à la plateforme du fournisseur. Le client n’aura pas à agir sur la plateforme de son fournisseur ; il peut agir de sa propre plateforme. Les parties à la facture restent identiques : le fournisseur est le vendeur et le client qui facture, l’acheteur.
Pour déterminer qu’il s’agit d’une facture autofacturée, le client devra compléter un champ spécifique « type de la facture » qui, à partir de codes dédiés, permettra de flécher la facture comme une facture autofacturée (cf. dossier des spécifications externes, annexe 7, disponible sur https://www.impots.gouv.fr/specifications-externes-b2b, version 2.3).
La dernière particularité de ce cas d’usage porte sur le « redevable » du e-reporting de paiement si la transaction facturée est une prestation de services : il incombera au fournisseur.
La sous-traitance
Dans le cadre de contrats privés (opérations B2B), la sous-traitance se traite en effectuant deux factures distinctes.
Une facture entre le sous-traitant et le titulaire du marché ou donneur d’ordre. Si l’opération ouvre droit à l’autoliquidation de la TVA, le sous-traitant doit inscrire sur sa facture la mention « autoliquidation de la taxe par le preneur ».
Une facture pour le montant total du marché établie par le titulaire du marché ou donneur d’ordre à l’acheteur. La facture mentionne la TVA due sur le montant HT total (prestation du titulaire et prestation du sous-traitant).
Dans le cadre des marchés privés, l’acheteur peut payer directement le sous-traitant par délégation de paiement de l’entrepreneur (équivalent au paiement direct dans le cadre des marchés publics). Dans ce cas, le maître d’ouvrage (acheteur) doit être mentionné comme devant être le payeur sur la facture de sous-traitance. La facture totale établie par le titulaire du marché mentionne le montant à payer au sous-traitant et l’acheteur règle au titulaire la différence.
Il est rappelé qu’en cas d’opérations de sous-traitance donnant lieu à autoliquidation, les données de paiement n’ont pas à être transmises (article 290 A du CGI).
La facture d’acompte et la facture définitive après acompte
La présence de cette situation dans les cas d’usage (n° 20 et 21) est due au fait que des mentions ou données particulières devront figurer dans la facture définitive (rappels relatifs à l’acompte déjà facturé), mais aussi à la nécessité de présenter cette dernière correctement, de façon à éviter une majoration de base imposable (lorsque le préremplissage de déclarations de TVA sera mis en œuvre).
Les points à rappeler
• L’obligation d’émettre une facture : (art. 289-I.1 du CGI) : tout assujetti est tenu de délivrer une facture pour les acomptes qui lui sont versés avant que l’une des opérations visées aux a et b du 1 du I du même article ne soit effectuée (livraison du bien ou de la PS).
• La TVA est exigible à l’encaissement de l’acompte pour les livraisons de biens comme pour les prestations de service.
Point d’attention : pour l’heure, il n’y a pas de e-reporting de paiement pour le fournisseur ayant perçu un acompte sur une livraison de bien, bien que la TVA soit reversée au moment de l’encaissement. Il faudra par contre le faire en cas de perception d’un acompte sur prestation de service. Cette divergence de traitement sera probablement corrigée et le e-reporting de paiement sera à faire dans tous les cas de figure.
Le travail à réaliser ou les réflexions à engager
• Mise en conformité sur la forme : et notamment sur la facture définitive, la facture d’acompte posant moins de difficulté de forme. Ce sont les modalités d’intégration de l’acompte dans la facture définitive qui doivent être remises à plat.
• Trouver la juste façon de comptabiliser ces opérations : rappelons tout d’abord que la réflexion doit se faire dans une logique d’automatisation des traitements qui est la vraie valeur ajoutée de la facture électronique. Dans une approche de traitement manuel (avec les possibilités de corrections et d’ajustement qui vont avec), les problèmes ne se posent pas du tout de la même manière.
Les modalités de traitement comptable de cette situation varient d’une entreprise à l’autre : l’acompte est-il comptabilisé comme du CA ou pas (bien souvent, non). Sur la facture définitive, l’acompte est-il repris dans les lignes ou en pied de facture ?
Ce cas d’usage de facture d’acompte ou de facture définitive fait, aujourd’hui encore, l’objet de discussions entre la DGFiP, les éditeurs et l’ensemble des acteurs concernés. L’objectif étant de répondre aux besoins de chacun d’entre eux.
• Le fournisseur doit être en mesure d’enregistrer le CA relatif à la vente à venir, de payer la TVA réellement perçue lors du paiement de l’acompte puis de la facture définitive associée.
• Le client doit être en mesure d’évaluer la juste charge : achat réel et acompte, ainsi que la TVA qu’il pourra déduire.
• La DGFiP doit être en mesure d’identifier les montants corrects de TVA sur acompte et facture finale.
Ce cas d’usage illustre parfaitement la nécessaire mise en conformité à laquelle les entreprises vont devoir se livrer. L’observation de la pratique montre en effet qu’à ce jour les choses ne sont, bien souvent, pas correctement faites : acomptes perçus mais non facturés ou non conformément (pro format ou établies sans TVA), facturation d’acomptes à tort (ie : facture de situation…). Les factures définitives sont par ailleurs régulièrement mal réalisées : acompte facturé non déduit ou au mauvais endroit sur la facture (après le TTC)…
Dans un monde papier et sans contrôles transactionnels continus (CTC), toutes ces anomalies ne sont pas bloquantes, les partenaires commerciaux font toujours en sorte de « retomber sur leurs pattes ». Cela ne sera plus possible demain.
Nous avons donc un travail d’information et de conseil à réaliser auprès de nos clients dans les meilleurs délais. Nous avons un rôle d’accompagnement dans la mise en conformité de ces derniers sur ce sujet, comme sur de nombreux autres.
Cet article est un compte rendu de l’atelier sur « la facturation électronique, les cas d’usage : notes de restaurant, acomptes, autoliquidation », animé par Emmanuelle Levieils et Nicolas Germain lors du 78e Congrès des experts-comptables qui s’est tenu à Montpellier en septembre 2023.
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