ChatGPT : quels cas d’usage pour la profession comptable ?

Le futur est à portée de main. L’intelligence artificielle n’est plus l’apanage d’un rêve futur lointain ni d’une élite et encore moins de films de science-fiction. À sa sortie fin novembre 2022, ChatGPT a provoqué la surprise. Avec 100 millions d’utilisateurs actifs en janvier 2023 ¹, cet agent conversationnel a battu les records de temps d’adoption. Seuls cinq jours ont été nécessaires pour franchir la barre du million d’utilisateurs contre trois ans et demi pour la plateforme Netflix.

Mais qu’est-ce que ChatGPT exactement ? ChatGPT ² est un robot conversationnel (chatbot) fondé sur un modèle d’apprentissage machine (nommé GPT-3) développé par la startup OpenAI (créée en 2015).

GPT signifie generative pre-trained transformer, c’est-à-dire un modèle de transduction de langage prédictif. Le modèle en question, nommé « davinci », gère 175 milliards de paramètres. Il fonctionne sous la forme d’une conversation (en langage naturel) composée de questions puis de réponses détaillées et argumentées (à l’instar, dans une moindre mesure, des assistants vocaux existants sur les téléphones mobiles). Les réponses peuvent comprendre plusieurs dizaines de lignes et sont comparables à des réponses d’un être humain. Elles tiennent compte du contexte de la question posée. Ce dialogue permet de rendre l’interface très simple et ne nécessite aucune connaissance informatique.

Actuellement en accès libre (après une inscription), la conversation fonctionne dans la langue de l’utilisateur (français ou anglais notamment). L’outil n’est pas amnésique et se nourrit des questions et des réponses précédentes au sein de la conversation.

Le modèle a été construit en recourant à des techniques d’apprentissage supervisé et par renforcement. ChatGPT emmagasine une quantité très importante de connaissances (environ 40 terabytes de données) issues notamment d’articles de presse, de romans, de scénarios de films et d’encyclopédies en ligne…

À partir de ces différentes données, il est capable de comprendre les demandes des utilisateurs.

Facteurs clés de succès

La qualité des réponses de ChatGPT est proportionnelle à la qualité de la question posée et au contexte fourni. Plus l’utilisateur pose de questions et les détaille (au-delà d’une simple poignée de lignes), plus les réponses sont ciblées et pertinentes. Deux phrases similaires, mais construites différemment, ne produiront pas les mêmes résultats. Il est d’ailleurs possible de modifier une question déjà posée pour la compléter et l’amender (démarche itérative). En effet, le robot est une intelligence artificielle générative qui n’est pas limitée à des scénarios prédéfinis contrairement à des chatbots usuels qui s’appuient sur des questions-réponses types, conçues en amont.

Les limites de cette intelligence artificielle

ChatGPT a déclenché de nombreuses réactions d’émerveillement et d’incertitude de la part de ses utilisateurs. Plusieurs points restent à éclaircir à différents égards.

Si le présent article a été écrit par un humain sans recourir à une intelligence artificielle, il convient de se poser la question de la pertinence d’utiliser ChatGPT pour le rédiger de manière plus efficiente. De la même façon, le métier de l’expert-comptable peut-il être délégué en partie à une intelligence artificielle ? 

Les premiers retours sur l’outil ont conclu que ChatGPT tombait dans certains biais (que les prochaines versions devraient réparer). Les erreurs sont encore régulières et en particulier dans les domaines comptable, juridique et financier. L’étendue des données emmagasinées dans ces matières n’est pas connue. Selon des études universitaires américaines, la performance de ChatGPT aux examens pour le diplôme américain d’expert-comptable (CPA) ³ est inférieure à celle d’un étudiant, contrairement à d’autres diplômes.

En matière de création de contenu, les écrits de ChatGPT restent impersonnels et manquent d’humour, ce qui nuit à la communication des entreprises sur les réseaux sociaux et limite l’adhésion et l’engagement du lecteur.

La base d’informations de ChatGPT 3.5 s’achève à fin 2021. Les informations juridiques y sont donc partiellement obsolètes. Par ailleurs, le robot 3.5 n’est pas en mesure d’accéder à Internet. Il n’est donc pas possible de fournir des liens vers des sites Internet. Sur la version 4, un plugin nommé « Web requests » contourne cette limitation.

De même, en version de base, il n’est pas prévu d’importer un fichier. Le flux entrant est limité à du texte, ce qui exclut toute opération sur des données volumineuses (l’import d’un tableau de 100 lignes est assez long et il existe une limitation de 1 024 mots dans la question formulée).

À ce stade et sans plugin, ChatGPT ne peut pas générer des graphiques ni des images. Il existe d’autres solutions pour produire des images à partir de descriptions en langage naturel telles que Dall-E 2 (d’openAI) ⁴, MidJourney ⁵ ou Stable Diffusion ⁶.

Rester vigilant sur les données personnelles

Sur le plan de la confidentialité, de la conformité à la réglementation générale sur la protection et du stockage des données, le transit par des serveurs situés aux États-Unis et l’utilisation des données pour l’amélioration de la solution constituent un sérieux frein. Lors de l’inscription à ChatGPT, il est d’ailleurs recommandé en préambule de ne pas déposer de données sensibles. Ces limitations ont motivé les autorités italiennes à bloquer l’accès au service dès le 31 mars 2023.

En janvier 2023, les employés d’Amazon ont été mis en garde quant à l’utilisation de ChatGPT et le risque de communiquer des données stratégiques pouvant servir à améliorer les prochaines versions de ChatGPT ⁷.

Certaines entreprises ont banni son utilisation. C’est le cas de Samsung, dont une partie du code de programmation critique a été communiquée à ChatGPT par manque de précaution.

Sur le plan scientifique et des droits d’auteur ⁸, ChatGPT cite rarement ses sources, sauf à le demander explicitement. En effet, les réponses sont déterminées à partir de données de multiples origines. Certaines phrases d’auteurs se voient réappropriées sans citation dans les réponses. Des procédures judiciaires sont en cours sur le sujet.

Enfin, il se pose la question du modèle économique de la solution actuellement gratuite qui comporte également une formule complémentaire facturée notamment à la consommation pour l’utilisation de l’API ⁹. Le dirigeant d’Alphabet Inc., la société holding de Google, John Hennessy, a révélé que l’usage des robots conversationnels coûterait dix fois plus qu’une requête sur un moteur de recherche ¹⁰.

Quel impact pour la profession ?

D’ici à 2026, ChatGPT pourrait avoir absorbé tout le savoir humain fiable. La version GPT-4 parue en mars 2023 (pour les abonnés) intègre 100 billions de paramètres, la possibilité d’importer des images et une capacité de traitement augmentée à 25 000 mots en entrée. D’autres éditeurs informatiques et acteurs majeurs préparent des solutions comparables. Aussi, les capacités de calcul et d’analyse devraient continuer à progresser.

Les cas d’usage sont infinis et posent la question de l’évolution de certains métiers. Un programmateur informatique peut en une simple phrase générer des lignes de code informatique. Un créateur de contenu (journaliste, copywriter, scénariste…) est en mesure de générer des articles très facilement grâce à la base de connaissances.

À ce stade, les usages pour les experts-comptables et commissaires aux comptes restent à définir. Les propositions ci-après ne sont pas exhaustives et comportent quelques cas qui ne sont pas encore correctement appréhendés par ChatGPT. Elles répondent à des besoins qui peuvent être satisfaits par d’autres solutions.

Un nouveau moyen d’accès à l’information 

ChatGPT permet d’assister l’utilisateur dans ses recherches documentaires en puisant dans sa base de connaissances et en retournant une réponse adaptée.

Plusieurs solutions de documentation juridique proposent dès à présent des fonctions d’intelligence artificielle pour optimiser les résultats ¹¹.

Il pourrait être envisagé de faciliter la recherche sur des questions techniques en fonctionnant par des questions en langage naturel au lieu des accès par des tables analytiques, des sommaires ou des mots clés. L’utilisateur serait à même d’obtenir des résultats adaptés et la qualité de la réponse pourrait être augmentée par la prise en compte du contexte, du secteur d’activité et des caractéristiques du client (régime fiscal, taille, forme juridique…).

Aide à la programmation informatique

L’intelligence artificielle implique des bouleversements dans le domaine de la programmation informatique. ChatGPT est capable de générer du code informatique dans de nombreux langages et en particulier des fonctions Excel, des commandes VBA, Python, DAX, R, M…  L’intérêt est de faciliter les traitements informatiques du cabinet :

• la conception de fichiers de travail ;

• le débogage de formules ou de code ;

• l’optimisation et la simplification dudit code (condensation, remplacement de lignes inutiles…) ;

• l’explication et la documentation du code (descriptif des fonctions utilisées) dans une logique d’apprentissage et de formation.

Nous avons essayé la commande suivante :

« Avec Excel, comment puis-je lister tous les fichiers présents dans le répertoire F:\Pièces comptables ? »

Le résultat présenté ci-après est un mode opératoire structuré en plusieurs étapes.

ChatGPT est en mesure d’identifier des erreurs de programmation (fautes de frappe, mauvaise syntaxe…) et de générer un code corrigé. Cette fonctionnalité permet des gains de temps importants et d’assister des utilisateurs peu aguerris sur la compréhension de formules. Par exemple, à partir d’un script en langage Python, ChatGPT détecte au bout de quelques secondes les erreurs et renvoie le message explicatif suivant :

  

Le code généré sur la version actuelle de ChatGPT comporte parfois des erreurs.

La science des données

L’intelligence artificielle permettra également de démocratiser la science des données (data science) et notamment les analyses prédictives.

La modélisation financière de l’activité des entreprises pourrait être préconçue par une intelligence artificielle (avec l’utilisation du machine learning) en se basant sur un historique, des données financières et en tirant profit des données sectorielles ou comparables. Cette fonction n’est pas (encore) aboutie. Il est cependant possible de générer une note écrite de quelques paragraphes sur la création d’une société et son modèle économique. Les éléments restent très généralistes et ne permettent que l’amorçage d’un projet.

Audit, révision : détection d’anomalies

En matière de révision et d’audit, l’intelligence artificielle apportera une capacité d’analyse inégalée à plusieurs niveaux. L’échantillonnage des données analysées pourra être déterminé avec une plus grande pertinence en tenant compte de multiples variables (historique du dossier, anomalies antérieures, données sectorielles…) et en utilisant un volume de données très important :

• reconnaissance de factures (détection des mentions obligatoires…) ;

• reconnaissance de documents financiers pour préparer des travaux d’audit (rapprochements bancaires, rapprochements de journaux de paie). Des outils d’audit comprennent déjà ces fonctions ;

• revue analytique ;

• conversion de documents : ChatGPT permet partiellement de convertir un grand livre en balance comptable et également de générer un bilan et un compte de résultat à partir d’une balance.

ChatGPT à l’épreuve

Nous avons fourni à ChatGPT une liste de factures clients émises par une société prestataire de services dont le panier moyen se situe autour de 12 000 € par mois.

Nous avons glissé des incohérences dans la liste évaluée : 

• un des clients est facturé pour 10 000 € par mois sauf au mois de septembre : la facture est de 25 000 € ;

• une facture pour un montant très faible de 200 € ;

• un client n’est pas facturé au mois de février contrairement aux autres mois de l’année ;

• un client « Richelieu » n’a qu’une seule facture sur l’année.

Nous avons envoyé les commandes suivantes : 

1 – « Convert to table » (la traduction française « Convertissez en tableau » ne fonctionnant pas).

2 – « Analysez ce tableau contenant la liste des factures clients émises en 2022 pour faire remonter des statistiques,  incohérences, anomalies. ».

ChatGPT offre alors les résultats suivants :

 

Seule une des anomalies, la plus évidente, est identifiée.

Pour analyser la liste de factures, une commande additionnelle est ensuite saisie :

« Préparez un tableau résumant pour chaque client : le chiffre d’affaires total, moyen, minimum, maximum. »

ChatGPT renvoie alors un tableau synthétique conforme et une conclusion.

 

Nous demandons par la suite à ChatGPT d’appliquer la loi de Benford avec la commande : 

« Établissez une table de la loi de Benford avec la fréquence théorique en pourcentage et la fréquence observée en pourcentage en fonction des montants facturés. »

Le tableau est correctement généré avec une conclusion :

 

Cette expérience révèle que l’outil est capable d’analyser les données, mais nécessite d’être supervisé et dirigé.

Organisation du cabinet

Plus généralement, ChatGPT pourrait s’intégrer au sein des outils numériques du cabinet (grâce à son API) afin d’automatiser des tâches ou de proposer une base de connaissances pour l’utilisateur. Microsoft a déjà intégré la solution au sein de Microsoft Teams ¹² et a vocation à l’inclure dans la suite Microsoft 365 grâce à son module « Copilot » qui est en cours d’expérimentation.

La planification des travaux et la charge de travail des collaborateurs pourraient être optimisées, de même que l’affectation des dossiers (critères géographiques, compétences requises…) en profitant de la capacité de l’intelligence artificielle à concilier de nombreux paramètres.

Enfin, le cabinet peut créer un agent conversationnel propre à son activité et à destination de ses clients voire de ses collaborateurs afin de répondre aux questions les plus fréquentes. Certaines solutions telles que Microsoft Power virtual agent ¹³ intègrent ChatGPT.

Préparation d’écrits 

L’intelligence artificielle devrait permettre de faciliter la préparation des notes d’information techniques pour les clients et les collaborateurs, et à cette occasion contribuer à simplifier des notions complexes. 

À partir d’une balance générale de deux exercices comptables, ChatGPT est en mesure de produire une courte synthèse financière basique mettant en lumière les variations les plus importantes.

Pour le cabinet, c’est aussi un moyen de développer la fonction marketing et la communication. La qualité des documents produits dépendra de la quantité d’informations fournies à ChatGPT. La proposition obtenue devra être enrichie et personnalisée en vue d’aboutir à une communication adaptée au ton du cabinet. 

« Le futur est déjà là, il est juste inégalement réparti », expliquait l’écrivain William Gibson ¹⁴. Les intelligences artificielles sont déjà présentes sous différentes formes dans de nombreuses solutions informatiques. ChatGPT s’est démarqué par sa simplicité d’utilisation et sa capacité à être adopté par tout utilisateur. En transformant la fiction en réalité, ChatGPT a ouvert le débat sur le rôle des intelligences artificielles. Le sujet est évolutif. La course menée par les éditeurs de solutions informatiques devrait conduire à des évolutions rapides et rendre cette matière concrète dans la profession avec plusieurs solutions alternatives (initiatives Copilot de Microsoft, Bard de Google et Ernie Bot de Baidu notamment). Cette rupture technologique pourra entraîner des évolutions majeures dans l’organisation et la production des missions. Dans son étude de janvier 2022, Xerfi émet l’hypothèse de technologies « qui pourraient modifier le marché [de l’expertise comptable et de l’audit] en profondeur » ¹⁵. Les technologies en question sont l’intelligence artificielle et la blockchain.

Avec ces solutions, les professionnels du chiffre peuvent envisager des moyens innovants pour mener leurs travaux et réduire le poids des tâches manuelles à moins forte valeur ajoutée. L’intelligence artificielle deviendra une ressource cruciale pour le cabinet de demain face aux enjeux à venir (facture électronique, analyses prédictives…). De nouvelles façons de travailler vont émerger dans lesquelles l’intelligence artificielle jouera un rôle de copilote des humains. Quel rôle restera-t-il à ces derniers ? À ce jour, à défaut de remplacer l’humain, ChatGPT est en mesure de l’assister.  

Pour prolonger la réflexion

• Revue Française de Comptabilité, dossier « Intelligence artificielle », n° 525, novembre 2018.

• Cahier Le Lab 50, « L’IA et vous », septembre 2019, https://www.crcc-paris.fr/wp-content/uploads/2020/01/Carre%CC%81-CRCC-Exe%CC%81 v10_FJ_post_de%CC%81part_pages_simples.pdf 

• Cahiers de l’Académie des sciences et techniques comptables et financières, n° 38 et 39, « Intelligence artificielle et confiance – Réglementation, enjeux, risques, audit et certification », et « Vers des intelligences artificielles dignes de confiance », septembre 2021 et novembre 2022, https://www.lacademie.info/sections/cahiers-de-l-academie 

• Revue Française de Comptabilité, dossier « Intelligence artificielle », n° 567, septembre 2022.

• ICAEW, « ChatGPT: opportunity and risk for the profession », 16 décembre 2022, https://www.icaew.com/insights/viewpoints-on-the-news/2022/dec-2022/chatgpt-opportunity-and-risk-for-the-profession 

• CPA practice advisor, « Accounting Automation Evolution: Augmented or Artificial Intelligence », 24-2-2023, Roman Kepczyk, https://www.cpapracticeadvisor.com/2023/02/24/accounting-automation-evolution-augmented-or-artificial-intelligence/77162/

• Mémoires d’expertise comptable :

– L’utilisation de l’intelligence artificielle par l’expert-comptable, Stéphane Grandvaux, novembre 2018, 198 pages.

– Intelligence artificielle et transformation du métier de l’expert-comptable : comment préparer aujourd’hui les changements inéluctables ?, Marc Wagner, novembre 2019, 169 pages.

– L’intelligence artificielle : une opportunité pour l’expert-comptable et sa relation client, Océane Ducoulombier, novembre 2020, 137 pages.

– L’intelligence artificielle, mise en place d’un logiciel de production au sein d’un cabinet de moins de dix collaborateurs, Florence Gil, novembre 2021, 152 pages.

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