Les chatbots à l’heure de l’intelligence artificielle générative
- mai 2024
- Numéro : 586
- Thématique(s) : relation clients
Les robots conversationnels ou chatbots sont omniprésents dans la vie quotidienne des consommateurs. En matière de relation client, les robots conversationnels ne sont pas une nouveauté. Forts des apports de l’intelligence artificielle générative, ces solutions peuvent-elles augmenter les prestations proposées par les métiers du chiffre ?
Un robot conversationnel (chatbot) est défini comme un « programme informatique conçu pour simuler une conversation avec un utilisateur humain, généralement sur Internet » 1.
Les robots conversationnels ne doivent pas être confondus avec l’intelligence artificielle (IA). Cette dernière est une discipline de l’informatique alors que le robot conversationnel est une interface, un moyen d’accéder à l’IA.
Ainsi, ChatGPT, Copilot, Gemini, Mistral ou Claude sont accessibles à l’aide de robots conversationnels à base d’IA générative qui fonctionnent comme un jeu de ping-pong alternant questions et réponses.
Cet article portera sur l’utilisation des robots conversationnels dans un contexte professionnel interne (collaborateurs) et externe (clients) en vue d’interagir avec les modèles de langage d’intelligence artificielle générative.
Aux origines des robots conversationnels
Paradoxalement, la notion de chatbot ne trouve pas ses origines au xxie siècle. En effet, les premières incarnations peuvent être tracées jusqu’aux interactions avec des esprits pendant la période paléolithique et aux consultations d’oracles au temps des pharaons 2.
L’un des premiers robots de ce type, nommé « Eliza », a été conçu entre 1964 et 1966 par un laboratoire d’intelligence artificielle de l’Institut américain de technologie du Massachusetts (MIT) et l’informaticien Joseph Weizenbaum 3. Ce robot simulait une conversation avec un psychothérapeute en utilisant la technique de la compréhension du langage naturel (natural language understanding). Un script prédéfini composait des réponses. Pour en avoir un aperçu, la solution a été émulée sur un site Internet 4.
Si le résultat fait désormais pâle figure, plusieurs utilisateurs avaient, en 1966, l’illusion de s’adresser à un humain.
Les robots conversationnels au quotidien
Aujourd’hui, les robots conversationnels sont omniprésents dans le secteur bancaire, la vente en ligne ou les sociétés de transport. Les applications pratiques s’étendent jusqu’à la création de partenaires romantiques virtuels. Des dizaines de start-ups proposent des robots de discussion sur le ton de l’amitié et de l’amour. Le robot Replika américain comptait 2 millions d’utilisateurs actifs au 1er trimestre 2023 5. Certains robots vont jusqu’à discuter avec des proches… décédés 6 (HereAfter AI) et ainsi gérer le traumatisme !
Cet exemple témoigne du succès de ces robots et de l’attachement des humains qui leurs reconnaissent des caractéristiques humaines (principe de l’anthropomorphisme).
Dans le domaine de la relation client, les robots conversationnels ont émergé dès les années 2000 dans la lignée des serveurs vocaux téléphoniques interactifs : le robot Clara de la Fnac en 2007, Lucie de SFR en 2009… La décade suivante est marquée par le début des assistants virtuels tel que Siri (2011) ou Alexa (2014).
Les chatbots ont permis de répondre à des questions de clients ou de fournir des tarifications à l’instar de la solution « Vbot », créée par la SNCF en 2016 pour la réservation de voyages 7. La banque en ligne Boursobank a mis en place dès 2019 le robot Eliott pour prendre en charge les questions de ses clients, et gérait quatre millions de conversations en 2022 8.
Les robots conversationnels ont ainsi été utilisés pour automatiser et homogénéiser une partie des tâches des services clients de premier niveau, le client se contentant de poser ses questions au robot et bénéficiant en contrepartie d’une disponibilité très étendue et d’une meilleure autonomie.
Cette stratégie a produit des résultats contrastés avec, le cas échéant, une moindre satisfaction des clients. Une étude Odoxa d’octobre 2023 9 révèle que 67 % des Français ont une « mauvaise image des entreprises gérant les demandes de leurs clients à travers des outils automatisés via l’IA ».
La réussite de robots conversationnels est contingente à la stratégie de l’entreprise, à la nature des relations avec sa clientèle et à ses besoins. Des clients recherchant de l’autonomie et une grande disponibilité pourront en être bénéficiaires contrairement à une clientèle privilégiant un accompagnement humain. La réduction des coûts n’est pas l’unique critère à considérer.
De surcroît, les robots conversationnels favorisent un ciblage précis des besoins et du contexte des clients, contribuant ainsi à enrichir l’expérience utilisateur.
L’IA générative vise à atteindre une cocréation de valeur 10 entre le client et l’entreprise qui soit mutuellement bénéfique. La compréhension, la personnalisation et l’adaptation des réponses seront des facteurs clés de succès pour dépasser les chatbots antérieurs. L’intégration des dimensions humaines et émotionnelles sera également un critère de différenciation crucial.
Plusieurs formats de robots conversationnels
Il existe de nombreuses formes de robots conversationnels.
Les robots conversationnels basés sur des règles (à l’instar du chatbot Eliza) : un corpus de questions-réponses est déterminé en amont de l’utilisation avec un périmètre circonscrit. Le cheminement de l’utilisateur suit une progression séquentielle, marquée par une série de conditions qui peuvent être représentées sous la forme d’un arbre.
Cela engendre une frustration de l’utilisateur dès que la question posée n’est pas prévue ou que des réponses très standardisées se révèlent inadaptées à des situations particulières.
Les robots conversationnels basés sur l’IA générative à l’aide des techniques d’apprentissage automatique (machine learning) et de traitement en langage naturel (natural language processing) 11. La qualité des réponses est nettement plus fine et personnalisée. Le traitement en langage naturel améliore le degré de compréhension des questions des clients. Grâce aux techniques d’apprentissage automatique, ces robots progressent en autonomie et accroissent la qualité des réponses en cernant mieux les problématiques.
Dichotomie entre les modèles de langage d’IA et les connaissances propres à chaque entreprise
Les robots conversationnels du marché s’appuient sur des modèles de langage généralistes sans intégrer les spécificités de chaque entreprise (connaissances, culture d’entreprise, typologie de clientèle, palette de services fournis…). Pour tirer profit des robots conversationnels, il convient de tenir compte du savoir-faire et des connaissances de l’entreprise.
Dans cette optique, créer son propre robot conversationnel personnalisé présente les intérêts suivants :
• bénéficier des capacités de calcul des modèles de langage tout en ajoutant des données complémentaires propres à l’entreprise. Ce modèle hybride implique des enjeux de confidentialité si la solution d’IA générative n’est pas compatible avec les règles du RGPD ;
• faciliter l’utilisation des IA génératives en concevant en amont l’expérience utilisateur contrairement aux robots conversationnels généralistes qui nécessitent la définition des prompts (la question posée à l’IA) pour atteindre un objectif donné. Cette approche peut se matérialiser par un parcours de questions-
réponses déterminées à l’avance. Ainsi, un robot dédié au choix de la forme juridique d’une entreprise interrogerait le créateur d’entreprise sur ses objectifs, ses projets, ses moyens, son modèle, la gouvernance envisagée… En fonction des réponses, le robot personnalisé recommanderait la forme juridique la plus adaptée. Dans cette optique, la programmation de questions à l’avance réduirait l’effort de conception de prompts par l’utilisateur final.
Les concepteurs de ces robots conversationnels personnalisés (prompt designer ou prompt engineer) vont identifier la façon optimale de recourir aux IA génératives et construire le chemin de questions pertinent. En parallèle, les utilisateurs, guidés par cette solution, ne sont pas tenus d’apprendre à concevoir un prompt ou de sélectionner la base de connaissances adaptée.
L’IA générative est ainsi démocratisée, ce qui encourage son adoption.
Concrètement, les thématiques de robots sont nombreuses :
• Robot de Plan comptable général contenant les dispositions du règlement comptable ;
• Robot d’analyse d’écritures comptables ;
• Robot de documentation : accès aux bases documentaires ;
• Robot de correcteur d’orthographe et de traduction ;
• Robot de questions clients : réponse aux questions fréquentes des clients ;
• Robot de structuration de réunions ou de présentations ;
• Robot de collaborateur : accueil et réponse aux questions sur l’organisation interne, sur les outils du cabinet ;
• Robot d’assistance informatique sur les solutions du cabinet ;
• Robot pour aider à construire des prompts.
Des robots personnalisés avec l’IA générative
De nombreuses solutions existent sur le marché pour créer un robot conversationnel personnalisé :
Des solutions standardisées telles que Microsoft Power Virtual Agent (initié en 2019) offrent la possibilité de s’appuyer sur un cadre existant et d’y ajouter un corpus de données adapté à la société (questions fréquentes, sujets techniques…) sans programmation de code ;
Des développements spécifiques, sous la forme d’une solution créée en interne ou sous-traitée. Certains cabinets d’expertise comptable ont ajouté ces agents conversationnels sur leur site Internet ;
Des robots conversationnels déjà intégrés à des logiciels informatiques dédiés à la profession comptable.
Les solutions d’IA génératives permettent de concevoir des robots personnalisés : Copilot (Copilot Studio), Hugging Chat (Assistants) et ChatGPT (GPTs).
Dans ces différents cas, il s’agit d’itérations d’un modèle de langage existant qui sont adaptées à un besoin.
Ce sous-ensemble est une déclinaison du modèle de langage pré-entraîné agrémenté des données (fichiers PDF, données d’API…) et d’instructions personnalisées, soit des consignes définies par l’auteur du robot telles que « limiter les réponses à un certain corpus de données ou selon un style défini ».
Ces différents paramètres de personnalisation sont formulés en langage naturel tels que :
• des variantes de style : « répondre en utilisant un langage humoristique » ;
• des variantes d’objectif : « se focaliser sur le droit luxembourgeois pour répondre aux questions posées » ;
• des variantes de périmètre de sources : « n’utiliser que le site web officiel de la DGFiP et aucun autre site » ;
• des variantes de format : « répondre sous la forme d’un rapport PowerPoint » ;
• Etc.
De surcroît, l’intérêt est de pouvoir ajouter des sources de données (doctrine comptable, juridique, fiscale, avis, notes…) généralement absentes du modèle de langage de base, en important des documents.
La création de robots personnalisés est facilitée par l’utilisation d’assistants (« GPT builder » au sein de ChatGPT notamment). À partir d’une série de questions auxquelles le concepteur doit répondre, les instructions et paramètres du robot sont calculés.
Processus de création d’un robot conversationnel personnalisé GPTs
• Définition du robot conversationnel (objectif)
• Choix d‘un nom de robot
• Proposition d’une image d’illustration (générée par Dall-E, la composante de génération d’images de ChatGPT)
• Définition du contexte
• Définition du style : ton employé, degré de détail…
• Définition de la méthode de conversation : demander des clarifications ou émettre des hypothèses
À chaque étape, l’assistant GPT Builder (à ce stade en anglais uniquement) construit le texte des instructions que l’utilisateur pourra par la suite modifier.
L’interface inclut une fenêtre de test du robot en vue d’affiner ses instructions.
Cette solution clés en main ne nécessite donc aucune programmation. Cet effort de simplification du sujet rend la solution accessible à tout utilisateur et réduit le temps de conception.
Traduction : Bonjour! Je vais vous aider à créer un nouveau GPT. Vous pouvez dire quelque chose comme « préparer une création qui aide à générer des visuels pour de nouveaux produits » ou « créer un ingénieur informatique qui m’aide à formater mon code ». Qu’aimeriez-vous faire ?
Ces robots conversationnels sont par la suite accessibles par d’autres utilisateurs au sein de plateformes comparables aux magasins d’applications mobiles sur smartphones. Certains acteurs prévoient un modèle de partage des revenus avec le créateur du robot personnalisé.
Les chatbots pour les professions du chiffre
Au-delà de seulement faciliter l’utilisation de l’IA, plusieurs apports sont envisageables grâce aux robots conversationnels personnalisés :
Augmenter le modèle de servuction 12 du cabinet : mieux cibler les besoins du client en profitant de l’IA pour les identifier et adapter les réponses proposées ;
Guider et faire progresser les collaborateurs à l’aide de robots internes dans des domaines variés ;
Décupler l’utilisation des ressources documentaires de la profession et guider les collaborateurs et clients pour accéder aux bases de connaissances (juridique, doctrine, déontologie…) et progresser dans d’autres domaines de compétences ;
Réduire le risque de biais et d’hallucinations des IA génératives avec un processus défini en amont par des développeurs maîtrisant l’IA et ses limites, ce qui accroît la qualité des prompts.
Dans tous ces cas, une fois le travail de conception achevé, le robot personnalisé est utilisable de manière illimitée.
Le danger d’une démultiplication des robots et d’une « gadgétisation » de ces solutions
Le facteur clé de succès de ces robots est de répondre à un besoin. En effet, la facilité induite par les solutions d’IA générative pour créer des robots constitue un risque de démultiplication déraisonnable comme ce fut le cas avec les plug-in ChatGPT. Le magasin ChatGPT contiendrait 159 000 robots personnalisés en accès public pour un total de 3 millions de robots créés 13.
Un risque de surabondance pourrait nuire à leur perception par les clients des cabinets et au contraire valoriser la relation humaine et les professionnels qui feraient l’effort de limiter le recours à ces robots au profit de la relation humaine.
Autres limites des robots conversationnels
Un robot conversationnel restera une extension de son modèle de base. Ce qui pose la question de la qualité dudit modèle.
Par ailleurs, sur certaines plateformes, les robots proposés sont opaques et ne dévoilent pas leur cadre de référence et leurs instructions personnalisées. Les utiliser avec fiabilité nécessiterait un système d’avis pour éviter des robots malveillants ou tout simplement mal conçus.
De nouvelles compétences vont probablement apparaître pour concevoir ces solutions mais aussi s’assurer de la qualité des données et des restitutions.
En matière de sécurisation, des failles de sécurité sont inévitables. En novembre 2023, au tout début de la sortie des robots GPTs, il était possible d’obtenir les instructions des robots voire de télécharger les fichiers les alimentant.
Quel avenir pour les robots conversationnels ?
À l’avenir, les IA seront vraisemblablement capables de créer automatiquement des chabots adaptés à une matière en se basant sur les connaissances disponibles et sans intervention humaine avancée.
Dès à présent, les solutions actuelles facilitent nettement l’exercice en ne requérant que quelques questions en vue de concevoir un début de robot personnalisé.
Des chatbots adaptés à des thématiques précises vont également se développer sous l’impulsion des éditeurs de solutions logicielles ou documentaires ou de regroupements de professionnels. Ils pourront être insérés au sein de solutions existantes et ainsi augmenter l’expérience utilisateur.
Bill Gates estime que demain chaque être humain aura son « agent » (au sens d’assistant personnel), un système informatique qui englobera des applications distinctes sans les cloisonner 14. Organiser ses tâches personnelles et professionnelles sera nettement facilité par rapport aux applications existantes. Les robots conversationnels avec leurs capacités de personnalisation posent une première pierre dans cette direction.
Bibliographie
Caroline Dubois, Jean Marc Salotti, Dominique Seminel, Nicolas Simonazzi, « Le chatbot : un outil de la relation aux clients », Hermès, la revue 2019/2 (n° 84), pages 95 à 97, CNRS Éditions.
Sophie Conti, Patricia Baudier, Romain Billot, « Impact de l’intelligence artificielle dans les services clients », Revue management & avenir, octobre 2023, n° 137, pages 69 à 88.
Mémoire d’expertise comptable de Pauline Gallet – « Méthodologie d’implantation d’un chatbot comme outil de prospection pour l’expert-comptable en vue de capter une nouvelle clientèle : les particuliers désirant investir dans l’immobilier locatif », novembre 2021, 184 pages – https://www.bibliobaseonline.com
1. Oxford English Dictionary, https://www.oed.com/dictionary/chatbot_n
3. Joseph Weizenbaum, Eliza – A Computer Program for the Study of Natural Language Communication between Man and Machine, Communications of the ACM, volume 9, issue 1, page 36, janvier 1966, https://dl.acm.org/doi/10.1145/365153.365168
5. Anna Tong, What happens when your AI chatbot stops loving you back?, Reuters, 21-3-2023, https://www.reuters.com/technology/what-happens-when-your-ai-chatbot-stops-loving-you-back-2023-03-18/
6. Rebecca Carball, Using AI to Talk to the Dead, New York Times, 11-12-2023, https://www.nytimes.com/2023/12/11/technology/ai-chatbots-dead-relatives.html
8. https://www.societegenerale.com/sites/default/files/documents/2023-05/SG-Applying-Data-and-AI.pdf, page 4.
9. « IA et relation client ne font pas bon ménage pour les Français », Stratégies, novembre 2023, page 5.
10. C. K. Prahalad et Venka Ramaswamy, « Co-creation experiences : the next practice in value creation », Journal of Interactive Marketing, volume 18, numéro 3, été 2004.
11. Voir aussi les articles « ChatGPT : quels cas d’usage pour la profession comptable ? », Revue Française de Comptabilité, n° 578, septembre 2023, page 6 et « Analyse, traitement et visualisation de données avec l’intelligence artificielle et ChatGPT », Revue Française de Comptabilité, n° 584, mars 2024, page 9.
12. Pierre Eiglier, Eric Langeard, 1987.
13. https://seo.ai/blog/gpts-statistics, janvier 2024.
14. Bill Gates, « AI is about to completely change how you use computers », GatesNotes, 9-11-2023, https://www.gatesnotes.com/AI-agents