Transformer une obligation en opportunité dans les PME
- mai 2024
- Numéro : 586
- Thématique(s) : le partage de la valeur et son financement
Le partage de la valeur en entreprise est une préoccupation croissante des pouvoirs publics. Preuve en est, depuis près de quatre ans, des mesures n’ont cessé d’être prises afin d’assouplir les dispositifs d’épargne salariale existants et d’inciter les entreprises à les mettre en place.
Parmi tous les dispositifs de partage de la valeur figure l’intéressement qui peut désormais, sous certaines conditions, être mis en place, pour une durée de 1 an à 5 ans par le biais d’une décision unilatérale. De plus, en fonction de la formule retenue, la décision unilatérale (ou l’accord) peut être rédigée sur un site dédié de l’Urssaf 1 afin de s’assurer immédiatement du régime social et fiscal de faveur. Soulignons également la transformation et la pérennisation, en juillet 2022, de la PEPA (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat), mieux connue sous la terminologie de « prime Macron », en PPV (prime de partage de la valeur). Le dernier acte marquant est la transposition législative de l’ANI (accord national interprofessionnel) sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise 2.
L’accord national interprofessionnel
L’ANI est le résultat des négociations menées par les partenaires sociaux sur sollicitation du ministre du Travail, qui avait pris le soin de fixer la feuille de route : généraliser le partage de la valeur, améliorer l’articulation des différents dispositifs et orienter l’épargne salariale vers les investissements responsables et solidaires, l’économie productive et la transition écologique. Il ne restait plus aux partenaires sociaux qu’à trouver les moyens pour y arriver !
S’attelant à la tâche, lesdits partenaires sociaux ont constaté que les dispositifs d’épargne salariale étaient répartis de manière hétérogène au sein des entreprises. La couverture des petites entreprises, jugée insuffisante, a particulièrement retenu leur attention.
Favoriser le partage de la valeur
Actant que les petites et moyennes entreprises ont des spécificités et des contraintes qui ne leur permettent pas de recourir facilement à la participation, les partenaires sociaux ont souhaité faciliter la mise en place de cette dernière. Au niveau de chaque branche professionnelle, une négociation doit être ouverte avant le 30 juin 2024. Cette négociation, si elle aboutit, doit permettre la mise en place d’un dispositif de participation facultative et dérogatoire. L’innovation réside dans le caractère dérogatoire car la formule retenue pourra déroger à la formule de référence de la participation, dite « formule légale », et aboutir à un résultat moindre que celui qui aurait été obtenu par application de la formule légale. Il est déjà admis qu’une formule puisse différer de la formule légale, mais à la condition qu’elle aboutisse à un résultat au moins égal à la formule légale. Cette règle dite d’équivalence est donc mise de côté pour les entreprises de moins de 50 salariés. Sans préjuger du résultat des négociations de branche, cette nouvelle possibilité peut également être actionnée par ces mêmes entreprises par accord collectif.
L’œuvre créatrice ne s’arrête pas là. En effet, dès 2025, sous certaines conditions, obligation est faite aux TPE/PME dépourvues de dispositif d’épargne salariale de mettre en œuvre un dispositif de partage de la valeur. Cette mise en œuvre imposée ne doit pas être envisagée comme une obligation mais comme une opportunité !
Une obligation pour les TPE-PME ?
À titre expérimental pour une durée de 5 ans, les entreprises d’au moins 11 salariés qui réalisent pendant 3 exercices consécutifs un bénéfice net fiscal 3 au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires devront mettre place un dispositif de partage de la valeur au titre du 4e exercice dès lors qu’aucun dispositif n’a vocation à s’appliquer au cours de cet exercice.
À l’exclusion de certaines SAPO (sociétés anonymes à participation ouvrière) 4, seules les sociétés sont concernées 5. Autrement dit, les entreprises individuelles ne sont pas visées par cette obligation.
Outre la forme sociétale, une condition d’effectif est requise. Seules sont visées les sociétés dont l’effectif est d’au moins 11 salariés et qui ne sont pas tenues de mettre en place le régime légal de participation, soit les sociétés de moins de 50 salariés.
Concernant cette borne de 50 salariés, elle devrait être calculée selon les dispositions du Code de la sécurité sociale 6. S’agissant d’un dispositif expérimental porté par une loi qui ne fait pas l’objet d’une codification, cette supposition mériterait d’être confirmée par l’Administration. Si notre hypothèse est retenue, il convient alors de souligner la situation des entreprises franchissant le seuil de 50 salariés. Ces dernières ont l’obligation d’instaurer la participation lorsque l’effectif de 50 salariés a été atteint ou dépassé durant 5 années civiles consécutives. Aussi, les sociétés qui seraient dans cette période dite de franchissement de seuil seraient bien concernées par cette nouvelle obligation, sans pour autant que le dispositif à mettre en place soit de la participation, sauf à faire d’une pierre deux coups en prévision de l’avenir…
Le seuil de 11 salariés doit également être questionné. Nulle mention n’est faite quant à ses conditions d’appréciation. S’agissant d’une obligation liée à l’épargne salariale, une identité des méthodes de calcul avec les autres dispositifs d’épargne salariale devrait en principe être retenue. Aussi, l’effectif « sécurité sociale » devrait s’appliquer. Toutefois, au regard du caractère expérimental de la mesure et de la volonté de favoriser le partage de la valeur, un doute subsiste quant à l’application de la règle de franchissement de seuil. Une société dont l’effectif en 2024 atteint 11 salariés pour la première fois (calculé sur la base des effectifs mensuels 2023) sera-t-elle concernée par cette nouvelle obligation ?
Si la règle de franchissement de seuil s’applique, la réponse devrait être négative.
Ces conditions liées à la forme de la structure et à l’effectif mises de côté, il convient de traiter la condition liée à la réalisation durant trois exercices consécutifs un bénéfice net fiscal 7 au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires.
L’obligation ayant vocation à s’appliquer aux exercices ouverts après le 31 décembre 2024, l’appréciation doit se faire sur les trois exercices précédents. Ainsi, en cas d’exercice sur l’année civile, l’appréciation se fera sur 2022, 2023, 2024.
La notion de bénéfice retenue par les partenaires sociaux et le législateur est la même que celle retenue pour le calcul de la participation, soit le bénéfice réalisé en France métropolitaine et en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés, majoré de certains bénéfices exonérés 8. Le bénéfice ainsi retenu est diminué de l’impôt correspondant, avec une adaptation pour les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu.
Dès lors que sur chacun des trois derniers exercices, le bénéfice ainsi défini atteint au moins 1 % du chiffre d’affaires, la société devra mettre en place, au titre du 4e exercice, un dispositif de partage de la valeur si aucun dispositif n’est en place. Autrement dit, les sociétés déjà dotées d’un outil de partage de la valeur n’ont pas l’obligation d’en mettre en place un second.
Pour les sociétés concernées, elles ont l’embarras du choix quant au dispositif à mettre en œuvre.
Il peut s’agir de la participation, y compris la nouvelle participation dérogatoire, de l’intéressement, de l’abondement à un plan d’épargne salariale (retraite comprise) ou de la PPV.
Bien plus qu’une obligation, une opportunité !
Le partage de la valeur est souvent perçu comme un moyen de renforcer l’engagement des salariés, de favoriser la rétention des talents et de promouvoir une culture d’entreprise axée sur la performance et le partage équitable des bénéfices. C’est cette perception que nous avons décidé de retenir. Ainsi, l’obligation précédemment décrite ne doit pas être subie. Elle doit être présentée comme une opportunité, aussi bien pour le dirigeant que pour les salariés et le bon fonctionnement de l’entreprise. En ce sens, le choix du dispositif n’est pas anodin et en fonction des besoins exprimés ou décelés chez le client, le cabinet a incontestablement un rôle à jouer.
Sans aborder l’hypothèse du cumul du mandat social avec un contrat de travail, le dirigeant n’est pas, par principe, éligible à un dispositif d’épargne salariale faute pour lui d’avoir le statut de salarié. Toutefois, dans les entreprises d’au moins 1 salarié et de moins de 250 salariés, il en va différemment. Le dirigeant, avec quelques aménagements parfois, est bénéficiaire du dispositif d’épargne salariale, dès lors que l’acte instituant le dispositif le prévoit expressément. Aussi, le dirigeant pourrait y voir une opportunité pour bénéficier d’une rémunération complémentaire attractive, puisque outre cette qualité de bénéficiaire, il bénéficie, au même titre que les salariés, du régime social de faveur : exonération de cotisations sociales et cotisations alignées. Seule la CSG/CRDS restent dues, et le cas échéant, l’impôt sur le revenu. Cette affirmation est vraie pour l’ensemble des dispositifs d’épargne salariale à l’exclusion notoire de la PPV. Ce dispositif fortement plébiscité pour sa facilité de mise en œuvre et ses conditions d’application est donc à déconseiller si l’un des objectifs est d’en faire bénéficier le dirigeant.
L’attractivité du complément de rémunération du dirigeant n’est pas exclusive des avantages que le dispositif de partage de la valeur peut avoir sur la dynamique de travail et l’engagement des salariés au sein de l’entreprise.
Les partenaires sociaux, sans être reniés par le législateur, considèrent que les dispositifs de partage de la valeur permettent de fidéliser et de sensibiliser les salariés aux objectifs de l’entreprise. En ce sens, l’intéressement, avec la souplesse qui lui a été apportée depuis la fin de la période Covid (durée d’application, possibilité de mise en place par une décision unilatérale, accord pré-validé par l’Urssaf, etc.) semble un outil à privilégier. Toutefois, la participation ne doit pas être négligée.
Cette dernière est le seul dispositif de partage de la valeur qui revêt un caractère obligatoire dès lors que la condition d’effectif est remplie, et dans sa foulée, elle entraîne la mise en place d’un plan d’épargne entreprise. Alors pour les entreprises qui ne seraient pas encore concernées, mais qui seront en passe de l’être d’ici peu (entreprise en situation de franchissement de seuil), n’est-ce pas l’occasion de franchir le Rubicon et de découvrir les avantages de l’épargne salariale ?
2. Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise.
3. Il s’agit de la notion de bénéfice retenu pour le calcul de la formule légale de la participation, à savoir le bénéfice réalisé tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés prévus au deuxième alinéa et au b du I de l’article 219 du Code général des impôts et majoré des bénéfices exonérés en application des dispositions des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 octies A, 44 undecies et 208 C du Code général des impôts. Ce bénéfice est diminué de l’impôt correspondant qui, pour les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu, est déterminé dans les conditions déterminées par décret en Conseil d’État.
4. Sont exclues les SAPO versant un dividende à leurs salariés au titre de l’exercice écoulé et dont le taux d’intérêt sur la somme versée aux porteurs d’actions de capital est égal à 0 %.
5. Bien que non traitée dans les développements présents, il existe également une obligation pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire (article 6 de la loi n° 2023-1107 précitée).
6. Articles L 130-1 et R 130-1 du Code de la sécurité sociale.
7. Il s’agit de la notion de bénéfice retenu pour le calcul de la formule légale de la participation, à savoir le bénéfice réalisé, tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés prévus au deuxième alinéa et au b du I de l’article 219 du Code général des impôts et majoré des bénéfices exonérés en application des dispositions des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 octies A, 44 undecies et 208 C du Code général des impôts. Ce bénéfice est diminué de l’impôt correspondant qui, pour les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu, est déterminé dans les conditions déterminées par décret en Conseil d’État.
8. Il s’agit des bénéfices exonérés en application des dispositions des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 octies A, 44 undecies et 208 C du Code général des impôts.