Le début d’une nouvelle ère pour la profession comptable

Expert-comptable, commissaire aux comptes, président de la Commission Le cabinet numérique du CNOEC

La réglementation a, depuis quelques années, intégré l’évolution numérique. La facture électronique en est la dernière illustration. Les mutations en cours seront abordées lors du 78e Congrès de l’Ordre des experts-comptables, ayant pour thème « De la facture électronique à la data, le début d’une nouvelle ère » qui se tiendra à Montpellier du 27 au 29 septembre 2023.

Les législateurs ont intégré les mutations technologiques et s’ils cherchent des voies de réglementation, ils en ont saisi des sources d’opportunités dans la collecte de l’impôt. Soit par son automatisation comme pour le prélèvement à la source, soit par sa sécurisation comme avec la facture électronique. N’oublions pas que ce projet a pour principale ambition de sécuriser les bases de TVA. Vu sous cet angle, à la main du législateur, le numérique fait naître de nouvelles contraintes et débride la complexité administrative ! Le bulletin de paie en est une parfaite illustration. Rendons-leur que l’essor des services numériques allié aux schémas d’organisations fiscaux ont su leur montrer que de nouvelles voies étaient possibles.

Entre obligations et opportunités

Le marché a, quant à lui, saisi dans le numérique toutes les opportunités qu’il n’aurait imaginées. Cet outil permettant de « disrupter » certains écosystèmes, mais également d’engager des mutations plus profondes, moins visibles, transférant progressivement la valeur perçue par les utilisateurs de services aux outils en remplacement des femmes et des hommes qui les délivrent. C’est un mouvement plus profond, difficile à mesurer et impossible à contrer. À titre d’exemple, la valeur perçue pour réserver un billet de train ou d’avion est désormais entièrement détenue par les applications. 

Le socle technique nécessaire à cet essor du numérique est désormais installé. C’est notre infrastructure, elle est composée des terminaux disposant de la puissance de calcul nécessaire à tous les usages (smartphone, tablette, PC…) reliés en permanence par un réseau existant sous diverses formes. Mais le numérique est gourmand ! Cette première strate en place, il faut passer à l’étape suivante… Cette omniprésence du numérique a fait naître de nouveaux besoins qui nous rappellent à notre histoire. Nous avons les routes du numérique, il nous faut créer un espace sécurisé, des voies de commerce sûres. Cette nouvelle étape, qui émerge, c’est l’évolution vers un monde numérique sécurisé avec des acteurs reconnus pour qui ils sont.

La cybersécurité, un enjeu majeur

Si la facture électronique, et nous y reviendrons, occupe notre quotidien, nous ne devons pas négliger ce volet de sécurité. La cybersécurité est un enjeu majeur, notamment pour notre profession. Les données que nous manipulons, que nous produisons, sont une source de richesse que nous n’imaginons pas. D’un point de vue individuel, pour chacun de nos cabinets, négliger la sécurité nous expose à une demande de rançon via des cyberattaques. D’un point de vue « macro », pour toute puissance curieuse, la compilation de ces données, leur analyse, peut révéler des organisations industrielles, des secrets, des failles. L’objectif du renseignement, ne l’oublions pas, est de collecter et de fournir des informations. Si la cybersécurité est un enjeu actuel, elle fait également naître un besoin de reconnaissance d’identité numérique, surtout chez les professions réglementées comme les experts-comptables. C’est une composante essentielle de cette nouvelle étape consistant à créer un espace sécurisé d’échanges numériques. La signature électronique a été un premier pas, l’identité numérique en sera le prolongement.

L’identité du numérique au cœur de la relation client

Cet enjeu d’identité numérique n’emportera pas seulement l’expert-comptable, mais toute l’équipe du cabinet. La relation client, l’accès aux données des administrations, sont des prérogatives que nous déléguons à nos équipes. La délégation de l’identité du cabinet et de ses experts-comptables jouera un rôle clé dans l’accès aux données officielles, qu’elles soient fiscales ou sociales. L’identité numérique de l’expert-comptable est une opportunité de saisir le mandat implicite, une notion sur laquelle les administrations n’ont pas avancé de concert. Si l’Urssaf a su faire ce pas, la DGFiP ne l’a pas encore fait. Réussir l’identité numérique de l’expert-comptable, dans un environnement numérique converti aux API, c’est proposer une sécurité numérique à nos interlocuteurs. La gestion de la délégation est intégrée dans nos normes, dans nos travaux, nous saurons l’appliquer à l’identité numérique.

Nous avons le matériel, les réseaux, nous sommes sensibilisés à la cybersécurité et l’Ordre avance sur l’identité numérique des experts-comptables : le numérique nous tend les bras !

La facture numérique, c’est déjà demain 

Nos cabinets vivent une période de profonde mutation conduite par cet essor. La facture numérique pourra être abordée sous deux angles. Pour certains cabinets, ce sera l’occasion de revoir leur organisation, les services proposés à leurs clients, les métiers de leurs équipes. Pour d’autres, cela pourra n’être qu’une boîte à chaussures de plus à traiter. Dans ce second cas, il ne faut pas oublier le mouvement profond de transfert de la valeur d’un service numérisé des acteurs aux outils. 

L’impact technologique sera minime comparé à l’impact sur les habitudes, les postures, les réflexes de nos équipes. Le passage de la production par de la saisie à de l’organisation de flux et le contrôle est un changement très perturbant. Il suffit d’essayer les derniers outils de comptabilité qui ont déjà réduit la phase de saisie et demandent une approche de vérifications. Il n’est pas nécessaire d’avoir une facture électronique pour cela, les OCR et solutions de vidéocodage le permettent déjà. Un collaborateur comptable expérimenté et consciencieux sait qu’il peut contrôler sa propre saisie, assistée par OCR ou non, très rapidement. Il a investi du temps dans une intégration des pièces rigoureuse et complète allant même jusqu’à préparer le fameux cut off. À l’inverse, si vous confiez à cette même personne un dossier majoritairement présaisi avec des rapprochements automatiques de pièces comptables et lignes bancaires, il devra mettre en œuvre des techniques différentes de contrôle, des réflexes autres. Il devra alors passer un temps de contrôle supérieur au temps d’intégration des flux.

L’humain restera une valeur sûre

Comme pour d’autres évolutions numériques, le facteur humain reste prépondérant dans la réussite, et pour cela il est important d’investir dans la formation pour nous et nos équipes. Si nous devons maîtriser la facture électronique pour en déterminer les impacts sur nos cabinets, nous devrons former, accompagner nos collaborateurs. Au-delà de la maîtrise des obligations et de l’organisation de la facture électronique, ce sera principalement un accompagnement aux changements que nous mettrons en place pour nos équipes.

Par ailleurs, les obligations de e-reporting, l’automatisation, même partielle, est une formidable opportunité d’avancer sur le concept de la comptabilité dite « temps réel ». Cela ne sera pas possible dès 2024 ni sur tous les dossiers, mais c’est une opportunité à tester sur quelques dossiers, en mode agile, par étapes, pour découvrir de nouvelles organisations, faire émerger de nouveaux talents au sein de nos équipes. La facture électronique, loin d’être une fin en soi, est avant tout un outil, un moyen. C’est surtout l’occasion de revoir l’organisation comptable de nos clients, la production de nos cabinets. 

Mais le danger le plus important pour nos cabinets, c’est que cette contrainte réglementaire ne mobilise toute notre énergie et nous fasse passer à côté des opportunités que l’on résume par cette formule : de la facture électronique à la data.

Nous garderons notre rôle de facilitateur pour nos clients, mais cette numérisation d’une très grande partie des documents et la maturité des offres d’exploitation des données présentent une source d’opportunités pour nos cabinets. 

La data, le nouvel or noir 

Au sein de nos cabinets, en lien avec des éditeurs, il est désormais très simple d’accéder aux « data » permettant de fournir des informations complémentaires à nos clients. Les données publiques de l’État sont également disponibles. Nous pouvons ainsi compiler ces informations pour apporter des éléments de contexte factuels à nos clients sur les prix de cession des fonds, l’évolution de la densité de population, etc. 

Le benchmark de nos clients est désormais une réalité, il est possible de renseigner un client sur le poids de sa masse salariale en comparaison de ses concurrents, de mesurer le poids de ses charges fixes. Les données, les outils, permettent ce premier niveau de comparaison. Ces données sont aujourd’hui basées sur les agrégats comptables, les états de synthèse. La facture électronique, en transmettant plus de détails, nous permettra d’accéder à un niveau d’information plus fin. Ce niveau de détail pourra alors nous permettre d’identifier des écarts financiers pour nos clients et de les accompagner pour améliorer leur performance.

L’utilisation de la data dans nos restitutions, dans nos analyses, nous permet d’initier un nouveau transfert de valeur des services numériques vers les acteurs à l’inverse du transfert induit par la numérisation des services de production comptable. Exploiter cette donnée disponible permet ainsi de se réapproprier la valeur captée par la numérisation de nos services. 

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