La facture électronique : une transformation majeure pour la profession comptable

Expert-comptable, commissaire aux comptes, responsable des grands projets numériques au CNOEC

Après le Mexique, l’Italie ou encore l’Australie, la France s’apprête à mettre en œuvre une réforme d’ampleur. La facturation électronique, prévue pour entrer en vigueur à partir du 1er septembre 2026, marque une étape significative dans la modernisation des processus de facturation et de paiement des entreprises.

La mise en place de la réforme de la facture électronique vise à renforcer la transparence fiscale, améliorer l’efficacité administrative, lutter contre la fraude à la TVA et améliorer la connaissance de l’activité des entreprises en temps réel. Pour les experts-comptables, cette réforme représente à la fois un défi opérationnel et une opportunité stratégique d’accompagnement des entreprises dans leur transition numérique.

Cadre réglementaire et calendrier de mise en œuvre

La loi de finances pour 2024 a confirmé le calendrier de déploiement de la facturation électronique. Ce calendrier est confirmé à la suite du rejet par l’Assemblée nationale d’un amendement visant à reporter la réforme d’un an. 

Les grandes dates

1er septembre 2026 : toutes les entreprises assujetties à la TVA devront être en mesure de recevoir des factures électroniques. Les grandes entreprises (GE) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) auront également l’obligation d’émettre ces factures et de transmettre les données de paiement à l’administration (e-reporting). 

1er septembre 2027 : l’obligation d’émission et d’e-reporting s’étendra aux petites et moyennes entreprises (PME) ainsi qu’aux micro-entreprises.

Environ 7 millions d’assujettis à la TVA établis en France sont ainsi concernés par la facturation électronique. Seuls les particuliers, les associations à but non lucratif sans activité commerciale et les entreprises étrangères sont exclus du cadre de cette réforme.

Objectifs de la réforme

La généralisation de la facturation électronique poursuit entre autres plusieurs objectifs. 

La simplification des échanges commerciaux : en unifiant les formats de facturation et les points de collecte, la réforme facilite la transmission et le traitement des documents.

La réduction de la fraude à la TVA : Le rapport d’information du Sénat estimait en 2020 qu’environ 5 milliards d’euros de recettes annuelles supplémentaires étaient attendus grâce à la lutte contre la fraude à la TVA et à la rectification des erreurs de déclaration. La Commission européenne avait déjà estimé, dans son rapport sur le « VAT gap », que la France perdait environ 13 milliards d’euros par an à cause de la fraude ou des défauts de collecte de TVA (données 2019).

Par ailleurs, le retour d’expérience de la période Covid a démontré que cette réforme, si elle avait été effective dès 2020, aurait permis de mieux cibler les aides aux secteurs d’activités et aux entreprises en ayant le plus besoin et ainsi éviter un « effet de saupoudrage » des aides de l’État.

L’administration fiscale s’attend également à de nombreux bénéfices pour les entreprises.

L’amélioration de la productivité et des délais de paiement : moins de papier, moins de saisie manuelle, moins d’erreurs et de gestion des litiges. Transmission et réception instantanée des factures de PDP à PDP (Plateforme de dématérialisation partenaire) évitant les erreurs d’aiguillage, meilleur respect de loi de modernisation de l’économie (LME) sur les délais de paiement, amélioration de la trésorerie in fine en particulier des TPE qui sont les plus pénalisées.

La simplification de la conformité fiscale : l’administration dispose au fil de l’eau et de manière structurée au travers du e-invoicing et du e-reporting de l’ensemble des transactions et du statut de paiement permettant ainsi une forme de sécurisation fiscale pour l’entreprise.

Impacts pour les experts-comptables

La réforme de la facturation électronique va transformer le rôle des cabinets d’expertise comptable. Finie la collecte des factures, la ressaisie ou la vérification des données océrisées ! Les factures normées sous un format Factur-X, CII ou UBL seront collectées, reconnues automatiquement et centralisées dans la PDP de l’entreprise cliente du cabinet. Et si la PDP de l’entreprise est la PDP du cabinet ou si les deux sont interconnectées, cette étape fastidieuse en sera grandement facilitée.

Cette numérisation et automatisation des processus de facturation d’achat et de vente, de surcroit de paiement, va bouleverser le fonctionnement quotidien des cabinets. Couplé à la nouvelle temporalité de gestion au fil de l’eau, les impacts pour la profession sont nombreux :

Accompagnement des clients : le niveau de connaissance des entreprises, en particulier les TPE, reste très limité quant à cette réforme de la facturation électronique relativement complexe. La mission des cabinets est de les accompagner dans leur mise en conformité, en évaluant leur maturité numérique et en adaptant leurs processus internes. Il s’agit là de la 1re mission que les cabinets pourront proposer à leurs clients.

Nouveau business model : la majeure partie du chiffre d’affaires des cabinets se concentre sur la gestion comptable, fiscale, sociale et administrative. Dès lors qu’une partie est automatisée, la question sera d’identifier les missions nouvelles et la modification des missions actuelles. Il faudra passer de la partie tenue/saisie à une mission de contrôle des flux et de mise à jour en temps réel des comptabilités.

Opportunité de développement : une très grande majorité des cabinets considère la réforme comme une opportunité pour la profession, notamment quant à la traçabilité et la conformité des factures. C’est l’occasion de mettre en œuvre de nouvelles missions, que ce soit la facturation ou le paiement pour compte de tiers, le recouvrement ou encore le pilotage hebdomadaire des principaux indicateurs de performance d’une entreprise.

Formation et adaptation : les experts-comptables devront se former aux nouvelles obligations et aux outils numériques pour rester compétitifs et réfléchir aux nouvelles missions ainsi qu’à l’organisation de leur cabinet. En effet, cette réforme va faire émerger de nouveaux acteurs, que ce soit des banques, des néobanques ou des éditeurs qui seront en mesure de proposer une « précomptabilité » ou a minima un pilotage de l’entreprise à prix réduit.

Préparation à la réforme

Pour anticiper la mise en place de la facturation électronique, il est essentiel de suivre une démarche structurée.

Audit des processus internes : évaluer l’impact de la réforme sur les outils comptables et les flux de facturation et de paiement.

Choix d’une solution conforme : sélectionner une Plateforme de dématérialisation partenaire (PDP) interopérable avec le système d’information (SI) du cabinet et répondant à ses besoins et à ceux de ses clients entreprises.

Formation des collaborateurs : sensibiliser les équipes aux nouvelles obligations et aux bonnes pratiques afin d’être en mesure d’accompagner les entreprises. 

Mise en œuvre : tester les nouveaux processus de facturation et de paiement au sein du cabinet, puis chez les clients afin d’être prêt au 1er septembre 2026 et au 1er septembre 2027.

La réforme de la facturation électronique constitue une transformation majeure pour la profession comptable. Ce n’est pas la première fois que les cabinets sont confrontés à des changements déterminants. Le passage à l’an 2000, les 35 heures, la déclaration sociale nominative (DSN), le prélèvement à la source (PAS) et, plus récemment la Covid-19, ont été gérés avec succès par la profession. Mais cette réforme semble différente, non pas par son niveau de complexité, mais par la multiplicité des acteurs qui s’y intéressent. En effet, une petite centaine de PDP sera vraisemblablement certifiée d’ici l’entrée en vigueur au 1er septembre 2026. Leur appétit est à la mesure des moyens investis, couplé à l’automatisation et à l’intelligence artificielle (IA), de nouvelles propositions de valeurs et des services pour les entreprises vont émerger. Il ne s’agit donc pas pour la profession de mettre en œuvre une simple réforme comme le PAS, mais de repenser son modèle économique et son offre de services à destination des entreprises. Il reste 16 mois pour s’y préparer, c’est beaucoup et c’est peu à la fois. L’exemple australien est d’ailleurs criant. Les cabinets ayant anticipé la réforme ont gagné en moyenne 30 % de chiffre d’affaires, les autres n’ayant perdu pour les plus chanceux qu’une partie de leurs revenus.

Cette réforme est une opportunité. Pour en bénéficier, les cabinets doivent l’anticiper et ainsi renforcer leur rôle de conseil stratégique du chef d’entreprise. Les banques se sentent menacées sur leur propre marché du paiement interentreprises et contre-attaquent avec des offres PDP offrant des services de gestion à leurs clients, voire de la précomptabilité. Les éditeurs y voient un marché nouveau également. La profession doit s’emparer et tirer parti des opportunités offertes par cette réforme et ainsi conserver sa place de partenaire privilégiée des entreprises.

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