La comptabilisation du chiffre d’affaires dans le e-commerce

Directeur des études comptables au CNOEC, diplômé d'expertise comptable

Les spécificités économiques du e-commerce peuvent conduire à des modalités d’enregistrement particulières des opérations de vente.

À l’heure actuelle, le chiffre d’affaires est défini par l’article 512-2 du plan comptable général (PCG) comme le montant des affaires réalisées par une entité avec les tiers, dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante. 

Conscient du caractère succinct de cette définition, l’Autorité des normes comptables (ANC) a créé un groupe de travail afin de proposer de nouvelles dispositions réglementaires concernant cet agrégat.

Du fait de ce manque de précisions, il convient généralement de rechercher dans la doctrine les dispositions proposées pour la comptabilisation d’opérations spécifiques, dont celles relatives au e-commerce. Cet article rappelle quelques-unes de ces particularités, en règles françaises.

Date d’enregistrement des produits

La créance naît de l’échange des consentements, puisqu’au regard de l’article 1583 du Code civil, la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

Cependant, le produit relatif à une vente ne peut être comptabilisé qu’à la date de livraison, s’agissant de biens, car le Code de commerce (article L123-21) et le PCG (article 513-3) disposent que « seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d’un exercice peuvent être inscrits dans les comptes annuels ».

Vente sous condition résolutoire

S’agissant des ventes à distance pour lesquelles les clients disposent en règle générale d’un droit de rétractation de 14 jours, il est courant de considérer qu’il s’agit d’une vente sous condition résolutoire, sous réserve que cette analyse soit confirmée par la lecture des différents documents de nature juridique (conditions générales de vente, contrats…) voire des usages du secteur d’activité.

L’avis du Comité d’urgence (CU) du Conseil national de la comptabilité (CNC) n° 2005-E du 6 septembre 2005 relatif à la comptabilisation d’une vente avec condition suspensive, intégrée pour partie dans le recueil des normes comptables de l’ANC, précise que « dans la vente avec condition résolutoire, le produit correspondant à la fourniture du bien doit être comptabilisé dès la conclusion du contrat, la vente étant rétroactivement annulée si la condition se réalise ». 

L’avis n° 25 de juillet 1991 de l’Ordre des experts-comptables relatif à « la prise en compte des produits » évoque la possibilité de comptabiliser une provision en cas d’incertitude liée à la vente, sans toutefois en préciser les modalités de détermination. S’agissant de cette provision, l’Ordre apporte néanmoins les deux précisions suivantes : 

« en pratique, toutefois, seul le résultat de cession est neutralisé » ;

« une provision pour risques est constatée s’il apparaît une décote de la valeur actuelle du bien cédé par rapport à sa valeur comptable à la date de cession (traitement retenu par le Conseil national de la comptabilité pour les ventes à réméré de titres – avis du 15 décembre 1989) ».

Ventes avec droit de retour

Au regard des précisions apportées par l’avis n° 25 de l’OEC précité, l’acheteur dispose d’un droit illimité de restituer le bien.

La constatation des produits dépend, dans ce cas, de la nature de l’accord. Dans le cas des ventes au détail courantes (les magasins à succursales offrent par exemple de rembourser le client si celui-ci n’est pas entièrement satisfait) la vente peut être constatée à condition de constituer, pour les retours de produits, une provision suffisante calculée d’après les statistiques des années passées. 

Dans d’autres cas, la nature de l’accord peut correspondre à une vente en consignation, au titre de laquelle le déposant expédie la marchandise au dépositaire, lequel est chargé de la vendre au nom du premier. Cette situation doit être distinguée de la précédente dans la mesure où, pour une vente en consignation, les produits ne doivent pas être constatés avant que la marchandise ne soit vendue à une tierce partie.

Échanges dans le cadre de transactions Internet

L’avis du CNC n° 2003-06 relatif au traitement comptable des activités d’échanges dans le cadre des transactions Internet (intégré pour partie en commentaire infra-réglementaire dans le recueil des normes comptables) fixe le champ d’application desdites activités d’échanges : « sont assimilées à des transactions d’échange […] des ventes croisées de montants équivalents entre deux entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, même payées en espèces, si ces règlements se font dans le cadre d’un accord de compensation, dès lors qu’au moins l’un des lots échangés concerne une prestation publicitaire effectuée sur Internet ».

Le PCG, dans son article 627-1, dispose qu’en cas de transaction d’échange dont au moins l’un des lots échangés concerne une prestation publicitaire effectuée sur Internet, le bien ou le service reçu dans l’échange doit être évalué : 

• à la valeur vénale de celui des deux lots dont l’estimation est la plus fiable ; 

• augmentée ou diminuée de la soulte en espèces éventuellement versée ou reçue et des frais accessoires d’achat. 

Cette position est applicable que les biens ou services échangés soient ou non semblables. 

Si la valeur vénale d’aucun des lots ne peut être estimée de façon fiable, les entreprises concernées doivent évaluer le bien ou le service acquis pour un montant égal à la valeur comptable de l’actif remis dans l’échange, qui peut être évalué au seul montant de la soulte. Si aucun actif ou soulte n’est remis, le bien ou le service reçu dans l’échange est comptabilisé pour une valeur nulle. Dans ce cas, les frais accessoires d’achat ne s’ajoutent pas au coût du bien ou du service reçu dans l’échange et affectent le résultat. 

La valeur vénale d’un lot échangé ne peut être appréciée que par référence à des ventes normales. Sont considérées comme normales les ventes équivalentes réalisées par la même entreprise, payées en espèces ou contre remise d’autres actifs, monétaires ou non, dont la valeur vénale peut être déterminée de façon fiable.

L’avis du CNC n° 2003-06 précité apporte des précisions supplémentaires sur la notion de vente normale en indiquant notamment qu’elle : 

• doit être de même nature, par exemple une prestation de service de publicité, et avoir un contenu comparable ;

• doit intervenir fréquemment, c’est-à-dire représenter un nombre significatif de transactions et en montants par rapport à l’ensemble des transactions consistant à fournir un service publicitaire similaire à celui rendu dans la transaction d’échange ;

• ne doit pas faire intervenir la même contrepartie ;

• et continuera d’intervenir après l’échange dont la valeur vénale ne peut être appréciée de façon fiable.

Des ventes croisées de montants équivalents entre deux entreprises, dont l’une fait partie du secteur internet, même payées en espèces, si ces règlements se font dans le cadre d’un accord de compensation, ne constituent pas des ventes normales si des ventes similaires non croisées n’interviennent pas fréquemment avec des contreparties différentes.

Accès à un site Internet de diffusion d’informations

La Commission des études comptables (CEC) de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) a été interrogée sur la situation d’une société ayant pour activité d’exploiter un site Internet grâce auquel des journalistes peuvent diffuser des communiqués de presse (EC 2015-30). Trois formules sont proposées par la société :

• une formule X autorise la publication d’un communiqué de presse ;

• une formule Y autorise la publication de six communiqués de presse sur une période d’un an ;

• enfin, la formule Z autorise la publication d’un nombre illimité de communiqués de presse sur une période d’un an.

S’agissant des modalités de reconnaissance du chiffre d’affaires, la Commission a considéré qu’au regard de la situation qui lui a été soumise, il convenait d’opérer une distinction entre les trois formules :

• contrat souscrit dans le cadre de la formule X autorisant la publication d’un seul communiqué de presse : la Commission estime que la prestation de services est rendue au moment de la publication du communiqué de presse prévu au contrat. Le chiffre d’affaires est à comptabiliser à la date de publication du communiqué de presse sur le site Internet par le client ;

• contrat souscrit dans le cadre de la formule Y autorisant la publication de six communiqués de presse sur une période d’un an : la CNCC estime que le chiffre d’affaires est à répartir par sixièmes, à chaque publication d’un communiqué de presse sur le site Internet par le client, ou à défaut sur la durée du contrat. Si le nombre de droits à publication n’est pas entièrement consommé à l’échéance du contrat, le reliquat comptabilisé en produits constatés d’avance est débité par le crédit d’un compte de produits, au compte de résultat, à la date d’échéance du contrat ;

• enfin, pour un contrat souscrit dans le cadre de la formule Z autorisant la publication d’un nombre illimité de communiqués de presse sur une période d’un an : la CEC estime que la prestation de services est rendue de manière linéaire en fonction de l’écoulement du temps, à compter de la date de début du contrat, et indépendamment du rythme de publication des communiqués de presse sur le site Internet par le client. Le chiffre d’affaires est à répartir sur la durée du contrat.  

Prestation « satisfait ou remboursé » 

La CEC a examiné la situation d’une société proposant un service de diffusion d’offres de vente de biens immobiliers par l’intermédiaire de sites Internet et de la presse et plus spécifiquement, les modalités de comptabilisation du chiffre d’affaires lié à un contrat de diffusion incluant un forfait « vendu ou remboursé » (EC 2011-16). 

La CEC a souhaité opérer une distinction entre les deux situations suivantes : 

• la société ne dispose pas d’éléments statistiques lui permettant d’estimer la durée probable des contrats [qui courent en principe sur 18 mois, lorsque le bien immobilier n’est pas vendu et qui peuvent être prolongés] et le risque de remboursement avec une sécurité suffisante : la CEC estime que le montant facturé au titre des contrats incluant le forfait ne doit pas être comptabilisé en chiffre d’affaires, mais doit être enregistré en totalité au passif, en produits constatés d’avance, dans les comptes annuels de la société. Le produit sera soit reconnu en résultat à la date de la vente effective du bien, soit annulé à la date de remboursement du contrat ;

• la société dispose d’éléments statistiques lui permettant d’estimer avec une sécurité suffisante non seulement la durée probable des contrats, mais également le risque de remboursement : la CEC estime que les produits issus des contrats incluant le forfait sont pris en compte au fur et à mesure de l’avancement de l’exécution des prestations correspondantes, c’est-à-dire étalés sur la durée estimée moyenne des contrats de diffusion. Par ailleurs, à chaque clôture de l’exercice, une provision pour risques correspondant aux coûts liés aux remboursements probables estimés par la société doit être comptabilisée afin de tenir compte de la sortie de ressources afférente à la probabilité de remboursement de ces contrats.

D’une manière générale, il conviendra que l’annexe des comptes explicite les modalités de comptabilisation du chiffre d’affaires. Plus celles-ci feront l’objet de particularités, plus l’information présentée devra être détaillée. 

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