Construisez votre projet de cabinet : cap’ ou pas cap’ ?
- décembre 2024
- Numéro : 592
- Thématique(s) : 79e congrès
De la stratégie au projet de cabinet, il n’y a qu’un pas, encore faut-il le franchir. Alors, cap’ ou pas cap’ ? Après avoir réfléchi à la stratégie de votre cabinet, il convient de la mettre en œuvre. Retour sur les conseils formulés par des experts lors de l’atelier consacré à ce sujet.
Pour passer de la stratégie à la mise en œuvre d’un projet de cabinet, il faut oser franchir le pas. La première étape consiste à rédiger un projet de cabinet, qui est crucial pour définir « l’ADN » de votre entreprise. Ce projet sert non seulement à vous démarquer dans un marché concurrentiel, mais aussi à communiquer efficacement avec vos clients et à motiver vos collaborateurs.
Ce n’est un secret pour personne, la profession est dans une phase de profonde mutation. Alors, bien sûr, elle a connu d’innombrables changements au cours des dernières décennies et elle s’est toujours adaptée. Cela dit, les mutations liées à l’automatisation (logiciels de plus en plus performants, facture électronique, intelligence artificielle…) ne sont pas du même ordre que celles rencontrées, voire subies, jusque-là.
Elles n’auront pas juste des effets sur les processus des cabinets. Elles auront un impact profond sur leur modèle. Les cabinets n’ont donc pas le choix. Ils vont devoir repenser leur modèle. Et cela ne pourra se faire que dans le cadre d’une démarche structurée.
C’est cette démarche que nous avons eu le plaisir de présenter lors de notre atelier du 79e Congrès des experts-comptables, qui s’est tenu à Marseille du 9 au 11 octobre 2024.
Stratégie et projet : deux concepts indissociables
Pour comprendre l’importance d’un projet de cabinet, il est essentiel de bien différencier deux notions clés : le projet et la stratégie. Si ces termes sont souvent utilisés de manière interchangeable, ils renvoient pourtant à des réalités distinctes, bien que complémentaires.
• Le projet, c’est l’ambition globale, la vision à long terme que le cabinet souhaite atteindre. Il répond à la question : « Où voulons-nous aller ? » C’est une direction, un rêve que le cabinet souhaite concrétiser.
• La stratégie, c’est l’ensemble des actions à mettre en place pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre du projet. Elle correspond aux moyens et à l’organisation qui permettront de faire de ce rêve une réalité.
Ainsi, un projet sans stratégie ne restera qu’une idée vague et théorique, tandis qu’une stratégie sans projet perdra de sa cohérence et de son sens. La stratégie est donc au service du projet : elle structure et organise les actions concrètes nécessaires pour atteindre les objectifs définis.
Pourquoi les cabinets doivent-ils formaliser un projet ?
Traditionnellement, les cabinets tiraient leur valeur des tâches de production (que ce soit en matière comptable, sociale ou juridique). Leur travail reposait sur la collecte et le traitement des données, la production de bilans, de bulletins de paie et de déclarations fiscales, ainsi que sur la gestion des obligations sociales et juridiques des entreprises. Cependant, l’automatisation grandissante, avec notamment l’arrivée de logiciels de plus en plus performants (en attendant la facture électronique…), modifie radicalement ce modèle.
Les outils prennent en effet une part toujours plus importante dans la production. Et, logiquement, les éditeurs de logiciels accaparent une part toujours plus importante de ce segment de la chaine de valeur des missions traditionnelles des cabinets 1. Sans compter que les clients, qui disposent d’outils de plus en plus performants et attendent autre chose de leur cabinet, tendent eux aussi à grignoter de la valeur aux experts-comptables via des pressions sur les honoraires des missions de production.
Dès lors, les cabinets ne peuvent plus se contenter de « faire comme avant ». Ils doivent se poser des questions cruciales : •
quelle place ai-je envie d’occuper dans cette chaine de valeur ?
• comment puis-je me différencier pour échapper aux tensions tarifaires liées à l’automatisation ?
• quels nouveaux services puis-je proposer à mes clients ?
• quel type de compétences vais-je devoir développer dans les années à venir ?
La réponse à ces questions passe par l’élaboration d’un projet structuré. Seul un projet de cabinet formalisé permet en effet de clarifier la direction à suivre, de définir des priorités, de mener des actions cohérentes les unes avec les autres. Et, in fine, de s’adapter aux nouvelles attentes des clients, tout en s’appuyant sur les atouts spécifiques de chaque cabinet.
Les grandes étapes d’un projet de cabinet
Réaliser un diagnostic complet
La première étape consiste à faire un diagnostic approfondi de la situation actuelle. Cette étape est fondamentale, même si l’expérience montre qu’elle est souvent « zappée » par des experts-comptables qui connaissent bien la profession et leur cabinet. Sauf que la connaissance d’une profession ou de son entreprise (qu’on a souvent créée) peut facilement créer des biais et fausser la vision 2…
Ce diagnostic doit couvrir trois grandes dimensions :
• le diagnostic externe (ce que l’on doit faire), pour analyser les grandes tendances du marché, les changements réglementaires et technologiques, les nouveaux besoins des clients…Quels sont les défis à venir ? Quelles sont les opportunités ? Quelles sont les menaces contre lesquelles se protéger ?
• le diagnostic interne (ce que l’on sait faire), pour faire le point sur ses ressources actuelles. Quels sont les atouts, les forces ? Quelles sont les faiblesses à corriger ? Pour répondre à ces questions, il convient de passer en revue l’organisation, les process, les compétences, le management, la satisfaction des clients, le marketing, la communication…
• le diagnostic de l’envie (ce que l’on veut faire). Au-delà des aspects techniques, il est en effet essentiel pour les cabinets de définir ce qu’ils souhaitent faire à un horizon de 3 à 5 ans. Quel type de missions ? Pour quel type de clients ? Avec quel type de collaborateurs ? Entre autres.
Un diagnostic bien mené permet de poser les bases d’un projet solide. Idéalement, il ne doit pas être réalisé uniquement par les associés. Les collaborateurs (du moins certains d’entre eux) doivent y être intégrés. Ces derniers étant au cœur de l’activité quotidienne, ils peuvent apporter un point de vue différent, parfois plus lucide, sur les forces et faiblesses du cabinet, sur ce qu’on fait bien et ce qu’on pourrait améliorer. Par ailleurs, il est bien souvent difficile d’avoir une vision objective et de remettre en cause l’existant lorsque l’on travaille seul. Comme le disait une experte-comptable dans le cadre d’une formation : « Seule, j’ai toujours raison »…
Définir des axes stratégiques clairs
Une fois le diagnostic réalisé, il est temps de définir les grands axes stratégiques du cabinet. Ces axes doivent répondre à une question simple : où voulons-nous être dans 3 à 5 ans ? Ces axes stratégiques peuvent concerner plusieurs aspects de votre activité :
• ce qu’on va faire… et ce qu’on ne va pas faire ;
• le type de missions que l’on va développer dans les années à venir ;
• la taille que l’on vise à un horizon de 3 à 5 ans en matière de chiffre d’affaires, de collaborateurs… ;
• le type de gouvernance que l’on souhaite mettre en place : intégrer des associés, rester seul, etc. ;
• la rentabilité que l’on souhaite atteindre.
Le choix est au cœur de cette étape. Un projet de cabinet réussi suppose de faire des choix stratégiques, c’est-à-dire de renoncer à certaines activités pour se concentrer sur ce qui créera de la valeur à long terme. Ce renoncement est souvent difficile, car il peut entrer en contradiction avec une démarche commerciale historiquement orientée vers la satisfaction de tous les clients. La stratégie, c’est faire des choix… et s’y tenir.
Élaborer un plan d’action détaillé
Une stratégie n’a de sens que si elle est traduite en actions concrètes, sans quoi elle ne sera jamais déployée. Or, comme le disait Napoléon, « dans la stratégie, tout est dans l’application ». C’est pourquoi il est crucial de mettre en place un plan d’action structuré. C’est en effet ce plan d’action qui va permettre de répondre à la question : « Comment faire pour mettre en œuvre les chantiers retenus et, in fine, atteindre les objectifs que je me suis fixés ? »
Concrètement, ce plan doit découper les grands axes stratégiques en chantiers, puis les chantiers en tâches à réaliser. L’objectif est d’avoir une granularité suffisamment fine pour observer rapidement les avancées du projet, mais aussi impliquer un maximum de personnes dans le projet. Pour chaque tâche, on devra ainsi déterminer « qui fait quoi pour quand et avec quelles ressources ».
Le plan d’action permettra également d’organiser les tâches en fonction de leur impact et de leur urgence. Par ailleurs, il est souvent utile d’identifier quelques « quick wins », c’est-à-dire des petites victoires accessibles rapidement, qui permettent de maintenir la motivation au sein des équipes et de prouver que le projet avance. Enfin, le suivi du plan d’action doit être régulier. Des points d’étape doivent être organisés pour vérifier l’avancement des tâches et ajuster le plan au besoin en fonction des résultats obtenus.
Deux facteurs clés de succès pour un projet
Impliquer les collaborateurs
Le succès d’un projet de cabinet repose en (très) grande partie sur l’implication des collaborateurs. Ce sont en effet eux qui, au quotidien, mettront en œuvre les actions décidées par les associés. Si les collaborateurs ne sont pas intégrés dès le départ à la réflexion stratégique (ou pis, s’ils ne comprennent pas pourquoi il faut faire autrement), ils risquent de ne pas s’approprier le projet. Ce dernier restera alors théorique et ne sera pas mis en pratique.
Il est donc important de faire participer les équipes lors des différentes étapes de la définition du projet et notamment lors de la mise en œuvre du plan d’action. Cette implication peut passer par des ateliers collaboratifs, des échanges réguliers ou encore par la « co-construction » de certaines étapes du projet. Plus les collaborateurs se sentiront acteurs de ce projet, plus ils seront encouragés à le réaliser.
Le temps, une ressource à gérer avec soin
Un obstacle fréquent à la réalisation d’un projet de cabinet est la gestion du temps. Les experts-comptables et leurs équipes sont en effet, et souvent, confrontés à des périodes de surcharge de travail, notamment durant la fameuse période fiscale. Face à cette pression, il peut sembler difficile de trouver le temps de réfléchir à une stratégie à long terme.
C’est pourquoi il est crucial de préserver du temps pour travailler sur le projet de cabinet et sa mise en œuvre. Ce temps doit être dédié exclusivement au projet et ne doit pas être perturbé par les urgences du quotidien. Pour ce faire, certaines pratiques peuvent être mises en place, comme des réunions où l’équipe fait le point sur l’avancement du projet et ajuste les actions en fonction des priorités.
Des outils au service des cabinets
Pour accompagner les experts-comptables dans la formalisation de leur projet de cabinet, le Conseil national de l’Ordre des experts-comptables a développé de nouveaux modules sur la plateforme Cap 2030. Cet outil en ligne, anonyme et gratuit, guide les cabinets à chaque étape de la formalisation de leur projet, du diagnostic au plan d’action, en passant par la définition des axes stratégiques et la sélection des chantiers à mener 3.
Rappelons que cet outil permet également aux cabinets et à leurs équipes de travailler sur deux questions fondamentales pour l’avenir des cabinets : les nouvelles missions et l’adaptation des compétences. Les collaborateurs pourront, par exemple, y réaliser leur bilan de compétences, ce qui permettra aux cabinets de dresser la cartographie du potentiel du cabinet. Cela les aidera notamment à identifier les compétences à renforcer pour être en phase avec les nouvelles missions envisagées dans le cadre de leur projet de cabinet.
Les rapporteurs du 79e congrès de Marseille ont également travaillé à la conception d’un jeu de illustrant la transformation. Intitulé « Cap’ ou pas cap’ », ce jeu accompagne ainsi pas à pas les cabinets et leurs équipes de façon ludique (mais très sérieuse) dans les 15 étapes de la transformation. L’objectif de ce jeu : sensibiliser et impliquer l’équipe du cabinet, proposer une méthode pour intégrer des concepts stratégiques et opérationnels, donner les étapes de la transformation, proposer des ressources pour mettre en œuvre le changement…
***
En conclusion, formaliser un projet de cabinet est une démarche indispensable pour anticiper les évolutions de la profession et rester compétitif dans un environnement en pleine mutation. Que vous soyez un petit cabinet ou une grande structure, ce projet permet de donner une direction claire à votre activité, de mobiliser vos équipes et de vous adapter aux nouvelles attentes des clients. Anticiper, s’organiser et structurer votre projet dès aujourd’hui vous permettra de faire face aux défis de demain, tout en garantissant la pérennité et le développement de votre cabinet.
1. Les augmentations annoncées par nombre d’éditeurs au cours des derniers mois illustrent parfaitement (et parfois douloureusement) ce phénomène.
2. Comme le rappelait Frédéric Fréry lors de l’atelier, Rubinstein disait : « Dans ma vie, j’ai rencontré très peu de génies. Mais j’ai rencontré beaucoup de parents de génies ».