Un référentiel comptable qui fait autorité


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Si les institutions en charge, en France, de la normalisation comptable – représentée aujourd’hui par l’ANC – ont évolué depuis le premier plan comptable, la particularité du modèle français de normalisation comptable associant les diverses parties prenantes à l’élaboration de la norme perdure.
La comptabilité constitue un pilier essentiel de la transparence financière, de la gouvernance des entreprises et de la régulation économique. En France, la réglementation comptable s’est construite progressivement et tardivement. Pour protéger le « secret des affaires », la normalisation comptable souhaitée par les services fiscaux n’a en fait commencé à prospérer que sous l’occupation avec le premier Plan comptable général de 1942, qui devait faire l’objet de multiples déclinaisons sectorielles, mais qui n’a en fait pas été appliqué.
La dynamique se poursuit à la Libération avec une certaine réorientation, puisqu’il est alors affirmé que la comptabilité est d’abord « faite pour le chef d’entreprise dont elle facilite la gestion » ; un nouveau plan comptable général sera ainsi élaboré en 1947 par la Commission de normalisation de la comptabilité, instituée en 1946. Mais la tendance à la multiplication des approches sectorielles et au caractère largement facultatif du respect des règles comptables ne s’inversera vraiment que sous l’impulsion de nouvelles institutions spécialisées.
De 1957 à 2009, le Conseil national de la comptabilité (CNC) jouera, avec le Comité de la réglementation comptable (CRC) à compter de 1998, un rôle central dans l’harmonisation des règles comptables. Cette organisation duale a pris fin en 2009 avec la création de l’Autorité des normes comptables (ANC) qui a pris le relais dans un contexte de mondialisation des normes comptables et d’élaboration des normes d’information de durabilité au niveau européen.
Le CNC : une harmonisation progressive des règles comptables
Créé par un décret du 7 février 1957, le Conseil national de la comptabilité avait pour objectif de coordonner les travaux comptables en France. Il avait un rôle purement consultatif et produisait des avis sur toute réglementation comptable générale et sectorielle. Si le Plan comptable général de 1982 marquait une volonté d’uniformisation des règles comptables, l’approche sectorielle restait privilégiée avec la publication entre 1982 et 1984 d‘une soixantaine de plans comptables professionnels, dont la plupart consistaient en une simple adaptation du plan de comptes sans aucune disposition normative.
Face à la démarche d’harmonisation des règles comptables engagées au niveau européen et l’extension des obligations comptables à des acteurs variés, une réforme du CNC est engagée en 1996. Ses compétences consultatives sont étendues à l’ensemble des règles sectorielles (secteurs bancaire, assurantiel et non lucratif) et aux normes comptables internationales. La responsabilité exclusive d’adopter les règles comptables, à partir des avis du CNC, est confiée, à compter de 1998, au CRC, présidé par le ministre de l’Économie. Cette réforme a pour objectif de généraliser l’application du Plan comptable général en limitant les approches sectorielles. Cela se traduira par la publication, en 1999, de règlements comptables structurants (PCG [CRC 99-03], secteur associatif [CRC 99-01], de comptes consolidés [CRC 99-02, 99-07 et 00-05], etc.). La normalisation comptable française entre dans une nouvelle ère : les règlements, désormais d’application obligatoire après leur homologation par arrêté, portent sur les trois piliers de la comptabilité : les principes et traitements comptables, les modèles d’états financiers et le plan de comptes.
L’arrivée des normes internationales
Dans les années 2000, avec les normes IFRS applicables aux comptes consolidés des sociétés cotées, le normalisateur doit composer avec des normes élaborées par l’IASB, et en assurer si possible la cohérence avec les règles nationales ; cela se traduit par un mouvement de convergence de la réglementation comptable nationale avec les normes comptables internationales : les règlements sur les passifs (CRC 00-06) et actifs (CRC 02-06 et 04-06) illustrent ce mouvement d’adaptation des normes internationales à notre cadre national.
Toutefois, dans un contexte d’évolution des normes internationales, le dispositif national dual (CNC et CRC) devait être revu pour :
• gagner en efficacité (le CNC comptait près de 60 membres à sa création !) et simplifier les processus d’élaboration de la réglementation comptable nationale ;
• peser dans les débats comptables européens et internationaux.
L’Autorité des normes comptables
Créée par ordonnance en 2009, l’Autorité des normes comptables 1 reprend les missions du CNC et du Comité de la réglementation comptable pour la comptabilité des entreprises (comptabilité privée), la compétence du CNC relative à la comptabilité publique étant transférée au Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP). L’ANC édicte, dans un cadre juridique robuste, les règles comptables qui s’imposent, après homologation par les ministres de l’Économie et de la Justice, aux entreprises pour l’établissement de leurs comptes sociaux, et fixe celles qui s’appliquent aux comptes consolidés lorsque les entreprises ne sont pas tenues ou n’ont pas opté pour les normes internationales homologuées par la Commission européenne. Son mandat est clair : défendre une vision française de la comptabilité, tout en s’imposant comme l’unique interlocuteur au niveau européen et international. L’ANC est le normalisateur français pour la comptabilité des entreprises.
Son organisation, avec un collège de 18 membres et des commissions spécialisées, permet une articulation entre expertise technique, vision stratégique et consultation des parties prenantes. La participation de son président aux collèges de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et de l’AMF (Autorité des marchés financiers) ainsi qu’à de multiples instances de Place assure des échanges institutionnels fructueux. Le pluralisme décliné dans tous les groupes de travail permet en principe d’assurer la qualité technique des prises de position en ayant pris en compte l’ensemble des points de vue en amont de la mise en œuvre des normes.
L’ANC et la modernisation du référentiel national
Depuis 2009, l’action de l’ANC s’inscrit dans l’objectif d’offrir à toutes entités tenues d’établir des comptes annuels ou consolidés, un référentiel comptable pertinent et à la fois adapté au contexte national et aux directives européennes. Il s’agit donc de faire vivre le référentiel en prenant en compte les différentes évolutions intervenant dans la vie des entreprises tout en conservant le rôle central dévolu à la comptabilité en France : instrument de transparence, outil de gestion, base fiscale, etc.
Ainsi, l’ANC a :
• érigé le Plan comptable général restructuré à droit constant en 2014 (Règlement ANC n° 2014-03) comme le règlement pivot de la normalisation comptable nationale. Tous les autres règlements sont désormais conçus comme des adaptations ou compléments au règlement maître ;
• précisé les secteurs d’activité bénéficiant de normes comptables adaptées : secteurs bancaire (ANC n° 2014-07), assurantiel (ANC n° 2015-11), non lucratif (ANC n° 2018-01) et gestion d’actifs (ANC n° 2016-02) ;
• rendu plus accessibles les textes comptables par ses travaux de codification et la publication de recueils sectoriels intégrant les textes réglementaires (règlement ANC) et les éléments de doctrine permettant aux lecteurs d’avoir toutes les références utiles sur un sujet donné ;
• unifié les dispositions applicables aux comptes consolidés ou combinés des groupes non cotés avec un règlement unique (ANC n° 2020-01) remplaçant les trois règlements antérieurs sectoriels ;
• conduit des projets structurants, tels que la réforme du cadre comptable applicable au secteur non lucratif (ANC n° 2018-01), la modernisation des états financiers (ANC n° 2022-06) qui a apporté une définition conceptuelle de la notion de résultat exceptionnel.
Adaptation des textes
Dans le même temps, l’ANC a adapté les textes comptables au regard des évolutions réglementaires applicables à certaines entreprises (fusions, etc.) ou face à la généralisation de nouveaux instruments (certificats d’économies d’énergie, instruments financiers, cryptoactifs, etc). Dans tous ses travaux, l’ANC prend en compte les normes internationales et leurs interprétations afin de déterminer si l’alignement est possible ou si une position différente doit être prise comme dans le cas des solutions informatiques.
Enfin, l’ANC a su démontrer sa capacité d’adaptation, notamment pendant la crise sanitaire en apportant des réponses rapides et précises aux acteurs économiques pour leur permettre d’établir leurs comptes dans cette période.
Une approche comptable maîtrisée
L’évolution des normes françaises reste toutefois encadrée par une double limite. Couvrant à la fois les PME et les grandes entreprises, le niveau de sophistication de l’approche comptable doit rester maîtrisée ; servant de base à l’établissement des liasses fiscales et au calcul d’agrégats (chiffre d’affaires, valeur ajoutée, total de bilan, etc.) qui déterminent l’application de nombreuses réglementations, toute modification des normes comptables nationales est scrutée à l’aune de possibles conséquences sur cet environnement réglementaire et plus particulièrement sur le niveau et le calendrier des impôts et taxes. Ces contraintes extra-comptables n’ont pas à être prises en compte par les normes internationales, qui ont développé un cadre spécifique pour les PME et qui, en tout état de cause, ne sont obligatoires dans l’Union européenne que pour les comptes consolidés des entreprises dont les titres sont cotés sur un marché réglementé.
Renforcement de l’influence internationale de la France
L’ANC participe aux travaux de l’IASB (International Accounting Standards Board) et de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) en s’impliquant à chaque stade du cycle de normalisation :
• la phase de recherche, en utilisant les conclusions des projets réalisés sous l’égide de l’ANC ; depuis 2010, plus d’une vingtaine de projets ont été financés et ont permis aux enseignants-chercheurs nationaux de présenter leurs travaux dans des revues ou congrès internationaux ;
• la phase d’élaboration des normes, en répondant aux diverses consultations de l’IASB, entretenant un dialogue avec les autres normalisateurs et en sollicitant les préparateurs et professionnels comptables français ;
• la phase d’adoption des normes par les instances européennes, en contribuant à l’élaboration de l’avis technique de l’EFRAG, avis destiné à la Commission européenne dans la perspective de l’introduction de ces normes dans le cadre réglementaire de l’Union européenne ;
• la phase d’application des normes internationales, en centralisant et analysant les questions provenant de la mise en œuvre et en apportant une contribution au comité d’interprétation (IFRS IC), aux entreprises et aux professionnels comptables. Si le référentiel IFRS constitue aujourd’hui une plateforme normative ayant atteint un niveau de maturité avancé, les « Agenda Decisions » de l’IFRS-IC jouent aujourd’hui un rôle déterminant dans l’application homogène des normes et peuvent parfois remettre en cause des pratiques comptables établies de longue date. Ces décisions doivent être analysées afin de s’assurer qu’elles se contentent de décliner les principes inclus dans les normes existantes.
Si l’ANC a développé progressivement une participation très active dans les travaux de l’IASB, l’efficacité de son action reste difficile à évaluer ; en effet les préconisations de l’ANC, comme celles des autres normalisateurs nationaux, n’ont pas toujours été suivies. Toutefois, ses prises de position dans les débats européens et internationaux sont attendues en raison d’une part, de leur qualité sur le plan technique et d’autre part de l’attention forte portée par l’ANC tant aux entreprises, en tenant compte de leurs contraintes opérationnelles, qu’aux professionnels comptables souhaitant disposer de normes claires pour en faciliter la mise en œuvre.
L’émergence du reporting de durabilité
Dès son premier plan stratégique en 2010, l’ANC a décidé de s’impliquer sur les sujets de communication d’informations environnementales et sociétales des entreprises dans le cadre de ses travaux de recherche : plusieurs projets de recherche ont été financés et ont fait l’objet de présentation détaillée lors des États généraux de la recherche comptable. Dans le prolongement de ses travaux antérieurs, l’ANC a été sollicitée dès 2018 pour apporter une contribution technique dans le cadre des travaux européens de révision des directives. Fin 2023, dans le cadre de la transposition de la directive CSRD 2, les compétences de l’ANC ont été étendues à l’information en matière de durabilité des entreprises.
En complément de ses missions liées à la comptabilité, l’ANC est désormais chargée :
• de donner un avis sur toute disposition législative ou réglementaire relative à la publication d’informations en matière de durabilité ;
• de contribuer à la normalisation internationale, notamment en répondant aux consultations dans le cadre de la procédure d’élaboration des normes européennes et internationales d’information en matière de durabilité des entreprises.
Tout en contribuant très activement à l’élaboration des normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) au sein de l’EFRAG, l’ANC accompagne les entreprises françaises et leurs auditeurs dans la mise en œuvre de ce nouveau dispositif en élaborant et diffusant des guides d’application des normes. C’est avec agilité et rapidité que l’ANC a su s’organiser pour assurer ce nouveau rôle pédagogique, de telles actions étant moins fréquentes dans les domaines comptables. Fidèle à son esprit de collégialité, elle organise des conférences et des échanges avec les parties prenantes en s’assurant de la représentativité de la diversité de la place.
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L’évolution de la réglementation comptable en France, du CNC à l’ANC, reflète une volonté d’adapter le cadre normatif aux enjeux économiques, financiers et sociétaux. De l’avis consultatif à l’autorité réglementaire, la France a su renforcer sa position en matière de normalisation comptable nationale tout en assurant une meilleure articulation avec les normes internationales. Aujourd’hui, l’ANC incarne une institution clé, au cœur des défis liés à la transparence des informations financières ou extra-
financières et à leur cohérence.
1. L’ANC, bien qu’étant une « autorité » instituée par le législateur, ne relève pas du statut des Autorités administratives indépendantes (AAI) ou des Autorités publiques indépendantes (API).
2. Ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales.