Changer notre approche des entreprises en difficulté pour mieux les accompagner
- mars 2025
- Numéro : 595
- Thématique(s) : défaillances

Pour mieux accompagner les entreprises en difficulté, il est important d’élargir nos analyses et donc de changer notre approche en ne réduisant pas le problème à « entreprises en difficulté = défaillance d’entreprises = procédures collectives », mais en englobant toutes les dimensions des fragilités de nos entreprises.
Face au choc économique créé par la crise de la Covid-19 avec ses périodes de confinement, le gouvernement a mis en place une politique du « quoi qu’il en coûte » pour maintenir les activités et les emplois. Au total, ce sont 240 milliards d’euros, dont 145 milliards de prêts garantis par l’État (PGE), qui ont soutenu les entreprises pour maintenir les activités et les emplois.
Pendant cette période, il y a eu un gel des procédures de recouvrement (fermeture des tribunaux de commerce, suspension des assignations Urssaf, ect.), ce qui a permis à certaines entreprises de survivre temporairement. Les défaillances d’entreprises se sont fortement réduites avant de connaître une forte hausse et d’atteindre, en 2024, des niveaux souvent qualifiés d’historiques dans beaucoup d’analyses.
Une analyse réductrice, voire trompeuse
Pour mettre en œuvre des actions adaptées face aux difficultés de nos entreprises, il est important de poser le bon diagnostic. Les défaillances d’entreprises sont en forte hausse, mais les analyses qui en sont faites sont souvent réductrices, voire trompeuses, car elles ne mettent l’accent que sur l’un des aspects de la vie de nos entreprises, sous l’angle unique des défaillances au sens des procédures collectives.
C’est un angle important, car, derrière ces défaillances, c’est une appréciation des tensions sur notre économie et donc nos entreprises ainsi que les évolutions plus structurelles qui les affectent. Mais, c’est réducteur, parce que l’on met moins l’accent sur les procédures préventives, alors même que l’objectif est de les encourager, et c’est trompeur, car cela passe sous silence les très nombreuses radiations volontaires, c’est-à-dire des arrêts volontaires d’activités, et la part de nos entreprises qui sont en réelles situations de fragilité.
Pour mieux accompagner les entreprises en difficulté, il est important d’élargir nos analyses et donc de changer notre approche en ne réduisant pas le problème à « entreprises en difficulté = défaillance d’entreprises = procédures collectives », mais en englobant toutes les dimensions des fragilités de nos entreprises.
Les défaillances d’entreprises sont en forte hausse avec des impacts économiques qui s’accroissent
L’évolution des défaillances d’entreprises en 2024 a fait l’objet d’analyses multiples : Altares « un seuil historique qui conclut l’année sur un record de procédures », Banque de France « à fin décembre, la hausse du nombre de défaillances cumulé sur douze mois poursuit sa décélération », BPCE l’Observatoire « l’une des pires années depuis 2009 », Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) « les volumes habituels de procédures collectives sont rattrapés et même dépassés », Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) « record de défaillances vs boom entrepreneurial »,
Ellisphere « le nombre de procédures collectives au plus haut niveau ».
Ces analyses traduisent une réalité des chiffres, comme le montre l’évolution du nombre de défaillances cumulé sur 12 mois.
Au-delà des chiffres bruts et du niveau atteint par les procédures collectives, il importe de mentionner, comme le fait clairement le CNGTC, que les défaillances accrues s’accompagnent d’un boom entrepreneurial qui ne se dément pas depuis plusieurs années avec plus d’un million de créations d’entreprises chaque année. Une analyse objective doit tenir compte du rapport entre les défaillances et le stock d’entreprises.
Bien évidemment, l’impact économique immédiat d’une création d’entreprise n’est pas le même que la disparition d’une entreprise, même si les défaillances concernent très majoritairement des très petites entreprises : 70 % des défaillances concernent des entreprises de moins de 3 salariés et 92 % des entreprises de moins de 10 salariés.
La progression des défaillances est en partie liée à un effet de rattrapage, après le fort ralentissement pendant la période Covid (2020-2021), mais plusieurs éléments méritent d’être soulignés :
• l’actuelle vague des défaillances n’est pas du tout alimentée par la vague des créations d’entreprises, puisque moins de 20 % d’entre elles ont été créées récemment (moins de 3 ans) ;
• il y a une vraie différence de taille dans l’évolution des défaillances depuis fin 2023 avec une progression très significative des défaillances d’entreprises de plus de 10 salariés, passées de 3 500 en 2019 à près de 5 300 en 2024 ;
• ces évolutions ont des conséquences économiques plus importantes, avec des emplois menacés passés de 180 000 en 2019 à 260 000 en 2024, mais également des impacts sur les relations interentreprises.
Recourir à des procédures de prévention
« L’accent mis sur les seules défaillances tend à occulter la situation des entreprises en procédures préventives alors que l’objectif est d’encourager le recours à la prévention. »
La situation économique actuelle montre à quel point les entreprises peuvent être touchées par des événements géopolitiques, économiques, environnementaux qu’elles ne maîtrisent pas. L’incertitude devient la règle. Lorsque l’entreprise ne peut plus faire face à ses obligations financières, la restructuration financière s’impose avec l’ouverture d’une procédure collective, qui débouche dans plus de 70 % des cas à la liquidation directe de l’entreprise.
Mais, avant d’en arriver là, notre cadre juridique ouvre la possibilité de recourir à des procédures préventives, amiables. Ces procédures (mandats ad hoc et conciliations) ont progressé ces dernières années : près de 8 800 en 2024, 8 200 en 2023, 7 400 en 2022, loin devant le niveau de 2019 (5 800), mais elles demeurent insuffisantes par rapport au niveau des défaillances.
Cette évolution est le fruit de plusieurs années d’efforts de sensibilisation sur la prévention qui reste clé, car il faut souvent combattre le déni des difficultés pour favoriser le développement de ces mesures de prévention dont le taux de réussite dépasse les 70 %.
Face à des difficultés avérées et parfois dans une situation proche de « l’état de cessation des paiements », de nombreux chefs d’entreprises hésitent encore à demander de l’aide alors que l’anticipation permet d’identifier les difficultés financières potentielles avant qu’elles ne deviennent critiques, offrant ainsi la possibilité d’agir à un stade précoce et d’envisager la mise en œuvre de procédures amiables pour apporter de véritables réponses.
En intervenant de manière préventive, ces mesures visent à maintenir l’activité de l’entreprise, préservant ainsi les emplois, les relations avec les fournisseurs et les clients et un cadre légal est donné aux négociations avec les créanciers avec une confidentialité assurée.
En agissant de manière transparente et proactive pour résoudre les problèmes financiers, l’entreprise peut maintenir la confiance de ses partenaires commerciaux, clients et employés et elle évite une dégradation plus poussée de sa situation financière, contribuant à préserver la valeur de l’entreprise et de ses actifs.
Malgré ces avantages des procédures préventives, malgré leur progression observée, elles restent certainement insuffisamment utilisées. De nombreux rapports se sont penchés sur les explications de cette situation : un frein culturel avec le sentiment de l’échec, l’absence d’informations prévisionnelles, de trésorerie bien sûr, qui laisse le chef d’entreprise dans une forme d’ignorance, la méconnaissance des procédures, la crainte du Tribunal, qui a l’image de celui qui condamne, sanctionne, liquide, ou la peur de se lancer dans une procédure longue au détriment du quotidien.
Les radiations volontaires souvent passées sous silence
Si l’analyse des défaillances, au sens des procédures collectives, s’accompagne parfois de celle des procédures préventives, le silence est mis sur les radiations volontaires et les entreprises qui sont en réelles situations de fragilité.
Le CNGTC est le seul, avec son Observatoire statistique, à donner une vision élargie de l’évolution du tissu entrepreneurial. Outre le mouvement de créations d’entreprises et les procédures collectives, les données du CNGTC retracent l’évolution des radiations d’entreprises, fournissant aux travaux de l’Observatoire du financement des entreprises des données précieuses pour ses rapports sur la situation des entreprises, TPE-PME.
Les radiations couvrent des situations diverses : radiation d’office, radiation suite à une procédure collective ou radiation volontaire.
Après une baisse notable des radiations d’entreprises en 2023 (– 17,9 %), la tendance s’est inversée en 2024 avec une hausse de 9 %, totalisant 310 066 radiations sur l’année. Cette montée en flèche a été particulièrement marquée au dernier trimestre, période où les incertitudes politiques et économiques ont atteint leur paroxysme, contraignant les entreprises les plus vulnérables à cesser leurs activités, et nombre d’autres à freiner leurs investissements et geler leurs embauches.
Sur l’ensemble de l’année 2024, ce sont de nouveau les radiations volontaires qui ont été majoritaires comme principal motif de radiation en France (y compris départements et régions d’outre-mer [DROM]), représentant 53,6 % du total. Venaient ensuite la radiation à la suite d’une procédure collective (32 %) et la radiation d’office (11,5 %).
Au cours de la période 2020-2024, les radiations volontaires ont sensiblement progressé en métropole, passant de moins de la moitié à 53,7 %, soit une hausse de 3,9 points.
Ces radiations volontaires sont le fait d’entreprises qui décident d’arrêter une activité par épuisement du chef d’entreprise, absence de marché, changement d’orientation, etc.
Leur diminution en 2023 fait suite à de fortes hausses en 2021 et 2022 (graphique ci-dessous) avec une baisse de l’âge moyen des entreprises radiées (de 10,5 ans en 2019 à 8,9 ans en 2023) et une remontée en 2024 à 9,8 ans. On peut y voir la fin d’un phénomène post-Covid, une mesure de la résilience du tissu entrepreneurial (avec des volumes de créations très élevés et des cessations d’activités plus importantes), l’efficacité des mesures mises en place par les pouvoirs publics pour venir en aide aux entrepreneurs, mais aussi un retour à des tensions plus fortes en 2024.
Cette vision élargie des entreprises en difficulté (procédures collectives, procédures préventives, radiations volontaires) donne une perception un peu différente des évolutions au cours des dernières années, telles qu’elles sont perçues au regard des seules défaillances.
Si les procédures collectives ont poursuivi leur hausse rapide en 2023 (+ 34 %) et en 2024 (+ 17 %), les radiations volontaires se réduisent fortement en 2023 (– 12 %) avec une reprise en 2024 (+ 4,5 %). Au total, le nombre d’entreprises connaissant des difficultés reprend une progression de 7,7 %.
À ces situations de fragilité avérée, il faut aussi ajouter les entreprises dont la situation financière est suffisamment dégradée pour leur faire peser une évolution comparable vers l’arrêt d’activité ou l’entrée en procédures préventives ou collectives.
Ainsi, le dernier rapport de l’Observatoire du financement des entreprises de novembre 2024 (la situation des TPE-PME, un financement assuré, mais des enjeux structurels importants) souligne que la part des TPE confrontées à une insuffisance de fonds est de 20 % et de 9 % pour les autres PME.
Renforcer les axes d’anticipation et d’accompagnement des entreprises
Changer notre approche des entreprises en difficulté en prenant en compte toutes les dimensions est important face aux enjeux d’accompagnement de nos entreprises.
Dans un environnement marqué par une forte dynamique entrepreneuriale, avec un nombre très élevé de créations d’entreprises, les dispositifs d’aides aux entreprises doivent conduire à renforcer les axes « anticipation » et « accompagnement » en amont de l’axe « prévention ».
Cet enjeu nécessite de bien prendre en compte l’étendue des entreprises concernées qui sont loin de se limiter aux seules défaillances (procédures collectives), mais doit viser un ensemble plus large d’entreprises en difficulté.
Pour permettre une réelle anticipation, en réalité, la question de l’accompagnement concerne même toutes les entreprises, puisque les actions nécessaires doivent être engagées dès la création d’entreprise.
Mais la prise de conscience de l’étendue des actions à engager, le renforcement de la coordination des nombreux acteurs mobilisés pour l’accompagnement des entreprises et des actions de prévention plus proactives, notamment des experts-comptables et des banques, passent d’abord par ce changement d’approche qui ne limite plus les analyses aux seules défaillances
d’entreprises.