12es États généraux de la recherche comptable : actualités, enjeux et normalisation en matière de durabilité

Président de l'ANC
Responsable de la recherche de l'ANC

Retour sur les 12es États généraux de la recherche comptable organisés par l’Autorité des Normes Comptables (ANC) qui se sont déroulés le 1er décembre 2023 au centre de conférences Pierre-Mendès-France à Bercy.

Les 12es États généraux de la recherche comptable ont été retransmis en direct en webinaire grâce au support de l’Académie des sciences techniques comptables et financières de l’Ordre des experts-comptables 1 et ont été suivis par plus de mille participants en présentiel et en distanciel. Ils permettent de réunir une fois par an enseignants-chercheurs dans les domaines de la comptabilité et de la gestion, professionnels de la comptabilité, analystes financiers et financiers d’entreprises. Cette confrontation des points de vue de professionnels comptables d’horizons différents contribue à assurer des débats riches et animés, tout en permettant la mise en perspective des résultats de la recherche comptable et des pratiques professionnelles existantes. 

Cette année, le thème de la journée était celui du reporting de durabilité, sujet actuellement au cœur des préoccupations des normalisateurs, des régulateurs, des entreprises, des vérificateurs et des utilisateurs de ces états de durabilité. Plus d’une vingtaine d’intervenants se sont succédé pour faire le point sur les actualités, les enjeux et la normalisation du reporting de durabilité, témoignant ainsi de l’importance de ce reporting comme moyen d’aide à la transition de nos économies vers un modèle plus durable. La journée s’est déroulée autour de présentations institutionnelles et de présentations académiques suivies de discussions et de tables rondes. 

2023, année déterminante dans la normalisation internationale et européenne 

En matière de normalisation internationale, l’ISSB 2 a publié ses normes S1 (norme fondamentale) et S2 (norme climat) en juin 2023, normes soutenues par l’IOSCO 3 et le Financial Stability Board du G20. À ce jour, des discussions sont entamées avec les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre pour une adoption dans les années à venir de ces deux normes. De son côté, la Commission européenne a publié les actes délégués relatifs aux normes ESRS le 31 juillet 2023. Les douze standards de durabilité permettent d’avoir une vision holistique de la durabilité sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance. L’interopérabilité entre le standard ESRS E1 et IFRS S2 constitue une avancée significative pour faire évoluer les modèles d’affaires des grandes entreprises internationales vers plus de durabilité et pour éviter un double reporting fortement consommateur de ressources. L’EFRAG accompagne la mise en œuvre des normes ESRS avec l’élaboration d’implementation guidance sur l’analyse de matérialité et la chaîne de valeur ainsi que l’ouverture d’une plate-forme de questions-réponses. L’EFRAG travaille également sur les normes de durabilité pour les PME, d’application obligatoire pour les PME cotées et d’application volontaire pour les PME non cotées avec une première consultation publique lancée avant la fin de l’année. Par ailleurs, l’EFRAG travaille sur les normes de durabilité sectorielles qui ont vocation à compléter les normes « tous secteurs ». 

De son côté, l’IASB étudie la possibilité de clarifier voire d’amender les normes IAS 36 sur les dépréciations d’actifs et IAS 37 sur les provisions. Le projet est de développer les informations à divulguer relatives à l’intégration du risque climat tant dans le calcul des provisions que dans les estimations retenues dans le cadre des tests de dépréciations. Par ailleurs, les conseils de l’IASB et de l’ISSB travaillent de concert sur ces sujets afin de renforcer la connectivité entre le reporting financier et de durabilité dans l’objectif de fournir aux utilisateurs une information le plus complète possible. L’EFRAG de son côté considère le sujet de la connectivité comme une priorité suite à sa consultation de 2021. Son objectif est de promouvoir un rapport unifié avec des publications qui refléteront les externalités et l’impact de ces externalités sur les états financiers. Dans cette optique, l’EFRAG va dans un premier temps travailler sur l’opérationnalisation de la connectivité pour réfléchir à une définition commune de la connectivité et définir clairement le rôle et les objectifs des états financiers et des reporting de durabilité environnementale. Par la suite, l’EFRAG travaillera sur un reporting intégrant tous les sujets qui peuvent être intégrés dans un seul et même reporting afin d’améliorer la transparence et de réduire le risque de greenwashing. Pour sa part, l’ANC lance un groupe de travail pour assurer la cohérence entre les deux reporting afin de préciser ce qui peut être attendu dans le cadre des normes comptables françaises et de contribuer aux travaux européens et internationaux qui visent spécifiquement les états financiers établis selon les normes IFRS.   

De son côté, le Japon a créé le Sustainability Standard Board of Japan (SSBJ) le 1er juillet 2023 venant compléter l’Accountability Standard Board of Japan (ASBJ). L’objectif est d’élaborer des normes japonaises de durabilité cohérentes avec les normes internationales comme celles de l’ISSB, mais aussi les ESRS et les normes de la SEC américaine, tout en étudiant ce qui se fait en Australie et en Nouvelle- Zélande. Le SSBJ travaille actuellement sur deux projets de normes très proches de IFRS S1 et S2. Les entreprises japonaises sont volontaires pour fournir des informations de durabilité dans un cadre cohérent avec les grilles internationales de reporting de durabilité. Pour finir, les normes de durabilité japonaises s’intéresseront spécifiquement à la matérialité financière. 

En matière de reporting climat, la cohérence des référentiels d’information de durabilité est indispensable pour harmoniser les méthodes d’analyse de ces informations par les investisseurs et les inciter à s’inscrire dans les stratégies de décarbonation. De plus, cette cohérence entre les grilles de reporting climat est nécessaire afin que les entreprises intègrent dans leur stratégie une nouvelle ressource rare, le CO2, comme l’était le cash auparavant. L’Institut de finance durable travaille sur quatre grands chantiers, à savoir (1) comment financer la transition écologique, (2) les modalités d’application sectorielles des reporting de durabilité quel qu’ils soient, (3) la standardisation des méthodes d’analyse extra-financière et pour finir (4) modifier la gouvernance des entreprises pour que le CO2 soit géré comme une grandeur économique comme les autres. 

Les challenges liés à la convergence et l’opérationnalisation des reportings de durabilité

La recherche académique a souligné trois facteurs principaux qui freinent la convergence du reporting de durabilité : la pluralité des grilles de reporting entraînant une duplication des informations demandées et des concepts mal définis ; l’existence de plusieurs organisations en charge d’élaborer des grilles de reporting de durabilité et pour finir les différents régimes d’application volontaires ou obligatoires selon les pays et les secteurs d’activité. La multiplicité des reportings de durabilité crée un problème de compréhension de ces normes par les utilisateurs et un risque d’arbitrage entre les grilles de reporting par les entreprises. Les divergences culturelles notamment en matière sociale entre les continents européens, nord-américain et asiatique complexifient grandement la convergence du reporting de durabilité. Par ailleurs, les études académiques soulignent que même si les entreprises exposées aux risques climatiques divulguent de plus en plus d’informations dans leurs états financiers ou leur rapport annuel, il existe une forte disparité des pratiques de reporting entre les pays européens et entre les secteurs d’activité. Cette situation renforce la nécessité de faire converger rapidement les reporting climat en privilégiant la double matérialité et la dimension prévisionnelle des informations. Au-delà des problèmes de convergence du reporting de durabilité, le véritable enjeu est de faire adopter ces normes de durabilité par la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Canada, l’Australie. De plus, l’audit obligatoire des informations de durabilité est une condition nécessaire pour que le reporting de durabilité soit un outil de transformation des modèles d’affaires accompagnant la transition écologique. La connectivité, définie comme le nombre de recoupements faits au sein du rapport annuel, d’une part entre les informations extra-financières et des données issues des états financiers (connectivité directe) ou d’autre part des données financières au sens large (connectivité indirecte), est aussi un enjeu majeur des prochaines années. Les études académiques montrent que le niveau de connectivité global est relativement faible, soulignant ainsi la nécessité de s’interroger sur l’opérationnalisation de cette notion tant du côté du normalisateur que du côté du régulateur. 

Les retours d’expérience des entreprises soulignent l’importance de l’analyse de la double matérialité qui permet de structurer le pilotage de la stratégie ESG et qui est un préalable à l’audit des informations de durabilité. Actuellement, les entreprises concernées procèdent à l’analyse des écarts entre les informations qu’elles peuvent actuellement communiquer et celles qu’elles devront communiquer dans le cadre des ESRS. À ce titre, l’écart avec la DPEF est significatif tant en matière de volume de données à traiter que dans la nature des informations à fournir. Sur le plan de la gouvernance, la collaboration des équipes en charge du reporting financier et des équipes en charge du reporting de durabilité participe à une meilleure connectivité de ces reportings même si le reporting de durabilité est tourné vers l’avenir alors que le reporting financier est axé sur la performance de l’exercice passé. Les principales difficultés soulevées par les entreprises sont la complexité des textes, les nécessaires adaptations des systèmes d’information et du contrôle interne. À ce titre, le reporting de durabilité représente un enjeu considérable pour les PME, car les informations demandées par les grandes entreprises au titre de leur chaîne de valeur sont nombreuses et qu’il est nécessaire de veiller à ce que les donneurs d’ordre ne demandent pas aux PME des informations qui ne figureront pas dans le reporting de durabilité des PME. 

Dans ce contexte, l’ANC s’efforcera de contribuer à l’élaboration des normes pertinentes tant pour les normes PME d’application obligatoire ou volontaire que pour les normes sectorielles. Pour cela, le Collège de l’ANC va être modifié pour intégrer de nouvelles compétences et s’appuiera sur trois commissions en charge des normes françaises, internationales et de durabilité. L’ANC participera aux efforts d’apprentissage des normes de durabilité ainsi qu’aux travaux sur la connectivité des reporting de durabilité et des états financiers. 

Intégration réglementaire, supervision financière et rôle du vérificateur externe

Les régulateurs et superviseurs européens et français sont satisfaits du premier jeu de normes ESRS, jugé complet et de qualité, satisfaisant leurs besoins informationnels. Dans l’ensemble, ces acteurs soutiennent la mise en œuvre de ces nouvelles obligations européennes. Ils considèrent que la Commission européenne a fait un choix équilibré en ce qui concerne l’analyse de matérialité et que les acteurs des marchés financiers doivent maintenant s’appuyer sur les informations publiées par les entreprises pour faire leurs hypothèses. Les régulateurs et superviseurs considèrent que les normes sectorielles seront très utiles d’un point de vue de l’interopérabilité avec les normes internationales. À ce titre, les normes pour le secteur de la finance devraient être priorisées afin d’aider les acteurs des marchés financiers à orienter les investissements. Pour finir, la mise en œuvre de la CSRD ne sera pas facile et le rôle du superviseur se situera entre l’accompagnement pour aider les émetteurs à respecter les règles et les sanctions à l’égard des contrevenants. 

En ce qui concerne la vérification des informations de durabilité, celles-ci seront soumises au contrôle indépendant d’un vérificateur, auditeur de durabilité, qui pourra être avocat, ingénieur ou expert-comptable dès lors qu’il remplira les conditions de compétence, c’est-à-dire avoir suivi une formation de 90 heures homologuée par la future Haute Autorité de l’audit (H2A). Ces auditeurs de durabilité seront soumis aux mêmes exigences que les commissaires aux comptes en matière de déontologie, d’indépendance d’exercice et de secret professionnel. Ils auront aussi l’obligation de révéler des faits délictueux au procureur de la République en matière de droit du travail ou du droit pénal de l’environnement par exemple. La mission du vérificateur est une mission d’assurance limitée, c’est-à-dire que sa démarche vise à identifier des risques de non-conformité des informations de durabilité avec les dispositions de la directive et des normes de reporting. L’avis du vérificateur vise à exprimer que ses travaux lui permettent de conclure qu’il n’a pas identifié d’inexactitude, d’erreur ou d’omission dans les informations en matière de durabilité. Le vérificateur dans les premières années d’exercice devra être un vrai outil d’accompagnement des entreprises en les guidant vers une meilleure qualité de rédaction de leur rapport de durabilité, année après année. 

Pour conclure, la mise en place du reporting de durabilité soulève de nombreux challenges, mais elle est appréhendée par les participants à ces 12es États généraux comme permettant la transition écologique vers des modèles d’affaires plus durables et plus respectueux des enjeux environnementaux et sociaux.   

Les articles de recherche présentés lors des 12es États généraux 

Sustainability reporting: is convergence possible? Article académique publié dans Accounting in Europe (2023) et écrit par Hervé Stolowy (HEC Paris) et Luc Paugam (HEC Paris).

• Une étude sur l’intégration des enjeux climatiques dans les états financiers réalisée par Isabelle martinez (Toulouse School of Management) et Walid ben Amar (Université d’Ottawa) présentée par Isabelle Martinez.

• « Connectivité entre le reporting financier et l’extra-financier : une exploration à travers la comptabilité climat », article académique publié dans la revue Comptabilité, Contrôle, Audit en 2022 et écrit par Bastien David (Toulouse School of Management) et Sophie Giordano-Spring (Institut Montpellier Management).

Participants aux différentes séquences : 

• Normalisation internationale, européenne et japonaise : Emmanuel Faber (ISSB témoignage audio), Bertrand Perrin (IASB), Patrick de Cambourg (SRB-EFRAG), Wolf Klinz (FRB-EFRAG), Yasunobu Kawanishi (ASBJ – SSBJ).

• Normes sur le climat : Yves Perrier (IFD).

• Convergence des reporting de durabilité : Hervé Stolowy (HEC Paris), Luc Paugam (HEC Paris), Eric Duvaud (ANC).

• Opérationnalisation du reporting de durabilité : Eric Mugnier (EY), Karine Merle (Medef), Yannick Ollivier (CNCC), Camille Putois (B4IG).

• Le rôle de l’ANC dans la mise en place du reporting de durabilité : Robert Ophèle (ANC).

• Intégration des enjeux climatiques dans les états financiers : Isabelle Martinez (TSM), Martine Léonard (SFAF).

• Connectivité entre le reporting financier et extra-financier : Bastien David (TSM), Sophie Giordano-Spring (IMM), Marie Seiller (AMF).

• Interaction réglementation et supervision financière : Jose-Manuel Campa (EBA), François Haas (ACPR), Jérôme Reboul (AMF), Verena Ross (ESMA).

• Rôle du vérificateur externe : Florence Peybernes (H3C, future H2A).

1. Tous les supports ainsi que l’enregistrement vidéo sont disponibles en français et en anglais sur le site
de l’ANC : www.anc.gouv.fr/

2. ISSB : International Sustainability Standards Board.

3. IOSCO : International Organization of Securities Commissions (en français OICV pour Organisation internationale des commissions de valeurs).

 

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