L’endettement financier net et ses conséquences sur les paramètres d’évaluation 

Économiste – Auteur. Formateur à la CCEF

Le professionnel de l’évaluation a pour objectif de délivrer une estimation de la valeur de marché des capitaux propres de l’entreprise. Pour y parvenir, il va notamment procéder de manière différentielle, en considérant les capitaux propres comme une donnée résiduelle entre l’ensemble du portefeuille des actifs estimés à leur valeur de marché et l’ensemble des dettes de l’entreprise.

La vision différentielle s’écrit de plusieurs manières, dont la plus courante est la suivante. 

Valeur de marché des capitaux propres = valeur de marché du portefeuille des actifs diminuée de l’ensemble des dettes financières nettes de la trésorerie.

Dans cette relation, la trésorerie et ses équivalents viennent en atténuation de la dette financière brute totale pour déterminer la dette financière nette. 

Cet article a pour finalité de mettre en lumière la cohérence qui doit découler de cette relation lors du calcul de l’ensemble des indicateurs nécessaires à l’évaluateur pour mener à bien sa mission. En effet, avoir recours à la notion de dette financière nette exige qu’elle soit appliquée à la totalité des concepts financiers dont l’évaluateur a besoin. 

Prise en compte du coût de la dette nette dans les indicateurs de gestion

La première cohérence concerne le calcul des résultats de l’entreprise, et plus particulièrement de deux indicateurs souvent utilisés en évaluation, à savoir : l’EBIT et l’EBITDA. Ces résultats ont comme point commun d’être déterminés l’un et l’autre avant intérêt des emprunts et avant impôt sur les bénéfices. 

Si l’évaluateur retient la notion de dette financière nette de la trésorerie, il doit en tenir compte dans le calcul de ces deux indicateurs. Or, dans la pratique, il n’en est pas toujours ainsi. Un certain nombre de professionnels déduisent le coût brut de la dette financière et non le coût net. Pour rendre plus concret le propos, considérons l’exemple qui suit. 

L’entreprise « AL » publie les données de résultat qui figurent dans le tableau 1. 

Comme on raisonne en endettement financier net, il est nécessaire de maintenir cette notion dans le calcul des indicateurs de gestion qui neutralisent le coût de la dette d’une part, et la charge d’impôt sur les bénéfices d’autre part. Ces indicateurs sont indispensables à l’évaluateur pour conduire ses calculs. 

Ces informations sont fournies dans le tableau 2 ci-dessous. 

Le tableau 2 fait ressortir le coût brut des dettes financières et le coût net des dettes, obtenu en déduisant le produit provenant des placements de la trésorerie et de ses équivalents. Or, comme on raisonne en dette financière nette, il est nécessaire d’en tenir compte dans les résultats. 

Prise en compte des produits financiers des placements de trésorerie dans le calcul de l’EBIT

À partir des informations figurant dans les deux tableaux qui précèdent, il est possible de calculer l’EBIT, mais en tenant compte non pas du coût brut de la dette financière, mais du coût net des placements de trésorerie. Pour cela, on prend comme point de départ le résultat net de l’ensemble consolidé et on adopte une approche additive. 

Dans le tableau 3, la cohérence est maintenue entre la notion de dettes financières nettes de la trésorerie et la détermination des indicateurs tels que l’EBIT ou l’EBITDA qui, l’un et l’autre, intègrent cette notion. 

Prise en compte de la variation de la trésorerie dans le calcul des cash-flows 

La seconde cohérence qui doit prévaloir concerne les indicateurs du tableau des flux de trésorerie. Mais le problème se pose et se résout en des termes différents. 

Nous allons poursuivre l’exemple qui précède. Le tableau 4, ci-dessous, donne la formation du cash-flow disponible pour l’entreprise, puis la formation du cash-flow disponible pour les actionnaires et sa répartition. 

Commentons le tableau 4. Tout d’abord, il est à noter que la capacité d’autofinancement prend en compte le coût net de la dette, comme cela a été indiqué précédemment. Ensuite, dans les activités de financement, la variation des dettes financières courantes et non courantes est corrigée de la variation de la trésorerie dans le but d’obtenir la variation des dettes financières nettes de la variation de trésorerie. 

Ce dernier élément de calcul est important. En effet, de manière systématique, la variation de la trésorerie est considérée comme la « finalisation » du tableau des flux et n’est donc jamais prise en compte dans les activités de financement. Cette façon d’opérer est logique, car on cherche à expliquer la variation de la trésorerie d’un exercice à l’autre. 

Mais, pour l’évaluateur, cette solution ne correspond pas à l’objectif qu’il s’est fixé. S’il souhaite maintenir une cohérence avec les concepts financiers dont il a besoin pour évaluer, il est nécessaire de considérer la variation de la trésorerie comme un moyen de financement. Dès lors, une augmentation de la trésorerie est affectée d’un signe négatif (c’est une emploi) et  on lui affecte un signe négatif (c’est un emploi) et un signe positif en cas d’utilisation de la trésorerie comme source de financement (c’est une ressource). 

Cette opération a un impact sur le cash-flow disponible pour les actionnaires (CFDA), mais s’avère neutre sur le cash-flow disponible pour l’entreprise (CFDE) qui, par définition, est calculé hors sources de financement. 

En opérant de cette manière, on modifie le CFDA, qui termine le tableau de trésorerie et permet d’expliquer sa répartition entre les dividendes, les rachats d’actions et autres éléments qui pourraient intervenir en faveur des actionnaires. Ainsi, dans le tableau 4, l’année N – 1, le cash-flow disponible pour les actionnaires est d’un montant de 1 436,4 M€. Il se répartit en 1 386,5 M€ pour la distribution de dividendes aux actionnaires et 49,9 M€ en rachat d’actions propres. L’année N, la capacité distributive est de 1 457,8 M€, qui se répartit en dividendes, 1 417,7 M€, et rachat d’actions propres, 40,1 M€. 

On constate en définitive qu’une cohérence a été assurée avec les données calculées précédemment (EBITDA et EBIT) au niveau du compte de résultat.

La prise en compte de la dette financière nette dans le calcul du taux d’endettement

Qu’en est-il de la cohérence avec les structures financières apparaissant au bilan de l’entreprise ? Le bilan qui figure ci-après a été reconfiguré pour mieux exprimer cette cohérence et pour répondre aux besoins de l’évaluateur. 

Le bilan financier (tableau ci-dessus) est construit sur la relation suivante : total des actifs (44 536,5 M€ l’année N) moins les dettes financières nettes de la trésorerie (10 483,2 M€) = capitaux propres (34 053,3 M€). 

Toutefois, pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire de faire apparaître une nouvelle notion, celle de « capitaux propres étendus », obtenue en incluant l’ensemble des provisions (courantes et non courantes) dans les capitaux propres, ces dernières étant assimilées à des fonds propres. 

Cette position qui consiste à assimiler les provisions courantes et non courantes à des fonds propres n’est pas nouvelle en soi. On la retrouve largement énoncée dans les publications d’analyse financière des années 1960-1970 de la part d’établissements aujourd’hui disparus, mais qui, à l’époque, faisaient autorité (Centrale de bilans de la Banque de France, Crédit national, notamment) et tenaient le « haut du pavé » de l’analyse financière. 

Quels arguments peut-on avancer pour justifier l’option qui consiste à inclure l’ensemble des provisions comme un élément des capitaux propres et non comme une dette financière ? Plusieurs arguments peuvent être avancés, tout en sachant que l’option prise dans cet article ne reflète pas nécessairement la pratique. 

Le premier argument est guidé par la cohérence. Si les provisions à court terme et à long terme sont incluses dans les dettes financières, on diminue artificiellement le coût moyen apparent de la dette totale, qui est obtenu en faisant le rapport entre les frais financiers de l’exercice et le montant total des dettes financières. Ce coût est sous-estimé, car on laisse à l’identique le numérateur et on augmente le dénominateur, ce qui a pour effet de diminuer mécaniquement le coût moyen apparent de l’endettement. Mais en opérant de cette manière, on crée de nombreuses distorsions dans l’appréciation de concepts financiers opérationnels tels que l’effet de levier financier, le taux d’endettement, la structure de financement, le coût moyen pondéré des capitaux. Or, ces éléments financiers sont déterminants dans la démarche d’évaluation. 

Le deuxième argument vient renforcer le précédent. Le rrofesseur Aswath Damodaran, abordant cette question, suggère d’adopter le principe qui suit : « La règle générale que vous devez suivre est que la dette qui doit être soustraite de la valeur d’entreprise doit être égale à celle que vous utilisez pour déterminer le coût du capital » 1. Cette remarque est pertinente, car pour déterminer le coût moyen pondéré du capital au moyen du modèle d’évaluation des actifs financiers MEDAF, l’évaluateur retient deux sources de financement :

• une source interne de financement dont le coût est le coût du capital ;

• une source de financement externe représentée par les dettes financières nettes de la trésorerie dont le coût est le coût net de la dette. 

Dans cette analyse, les provisions à long terme et à court terme ne peuvent pas être considérées comme une source de financement externe. 

Le troisième argument nous ramène à la cohérence, point de départ de cet article. Si, au bilan, on inclut les provisions courantes et non courantes dans les dettes financières, on introduit une incohérence avec le tableau des flux de trésorerie. En effet, dans le tableau de financement, les dotations aux provisions courantes et non courantes sont constitutives de la capacité d’autofinancement (en adoptant une approche additive). Elles n’apparaissent pas dans les flux de trésorerie provenant des activités de financement. C’est ce que montre le tableau 6 ci-dessous, qui met en relation la structure des capitaux et les flux.

Le dernier argument concerne la pratique souvent utilisée par les professionnels de l’évaluation. Pour déterminer les capitaux employés, on a coutume de prendre un raccourci qui consiste à additionner les capitaux propres consolidés (y compris les intérêts minoritaires) aux dettes financières nettes de la trésorerie. C’est d’ailleurs, précisons-le, le calcul que réalisent le plus souvent les bases de données boursières. En faisant cela, on commet une erreur, car on sous-estime le montant des capitaux employés, les provisions courantes et non courantes comptant pour zéro. 

Reprenons l’exemple : capitaux propres consolidés : 21 963,9 M€ + dettes financières nettes : 10 483,2 M€ = 32 447,1 M€. En opérant de cette manière, les provisions ne sont donc pas prises en compte et comptent pour zéro. On devrait avoir (cf. tableau 6) : capitaux propres « étendus » : 34 053,3 M€ + dettes financières nettes : 10 483,2 M€ = 44 436,5 M€. 

L’écart est, dans l’exemple retenu, relativement substantiel, ce qui ne peut pas être généralisé et dépend en grande partie de l’entreprise analysée ou du secteur d’activité. 

En conclusion, pour l’ensemble des différentes raisons qui viennent d’être évoquées, en évaluation d’entreprise, il paraît préférable de considérer les provisions (court et long termes) comme faisant partie des capitaux propres (voir tableau 5). En acceptant ce point de vue, la notion de dettes se limite alors aux seules dettes financières, celles-ci donnant lieu au paiement de frais financiers. 

Ce parti pris n’est pas sans effet. Cet article a fait apparaître qu’un choix méthodologique, quel qu’il soit, a de multiples incidences sur l’analyse que l’on conduit. 

Le point de départ de la réflexion a été de considérer le concept de dette financière nette et d’en tirer toutes les conséquences sur les indicateurs nécessaires à l’évaluation des entreprises. Force est de constater que les incidences sont nombreuses et peuvent s’avérer substantielles pour certaines entreprises et pour certains secteurs d’activité. 

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