La profession du chiffre en Allemagne 

Wirtschaftsprüfer, Dr. Ganteführer, Marquardt & Partner mbB, Allemagne

En Allemagne, la profession du chiffre est représentée par deux catégories de professionnels, Steuerberater et Wirtschaftsprüfer, correspondant respectivement aux fonctions de conseiller fiscal et de commissaire aux comptes. L’exercice de ces deux professions est très orienté sur la fiscalité. Le titre d’expert-comptable n’existe pas en Allemagne au sens où nous l’entendons en France.

Les métiers du chiffre en Allemagne sont avant tout au service des entrepreneurs du Mittelstand 1 – désignant toutes les structures allant de la TPE à l’entreprise de taille intermédiaire (ETI) – qui représente un tissu économique conséquent.

Ils contribuent largement à son succès, au même titre que le système juridique et fiscal allemand bâti autour de l’entrepreneur individuel ou de l’entrepreneur en société. Le conseiller fiscal ou le commissaire aux comptes sont bien souvent le tout premier conseiller de l’entrepreneur, sur le plan professionnel et sur le plan privé. 

L’organisation de la profession

La profession du chiffre en Allemagne est représentée par deux professions distinctes, mais intimement liées : le conseiller fiscal et le commissaire aux comptes. 

Pour simplifier, cette distinction correspond à la séparation, d’une part, entre le conseil fiscal et comptable apporté aux sociétés de personnes et à leur associé-gérant par le conseiller fiscal et la révision légale et, d’autre part, le conseil comptable et de gestion apporté à la société de capital et plus encore à la société faisant appel public à l’épargne par le commissaire aux comptes. 

En outre, le conseil fiscal de « haut niveau » – restructuration juridique et fiscale ou intégration fiscale – requiert les compétences en analyse financière, en analyse économique et en analyse des comptes consolidés du commissaire aux comptes. 

Contrairement à la réglementation française, l’interdiction de la révision comptable et du conseil fiscal par la même personne ou le même cabinet n’existe que depuis récemment et uniquement pour les sociétés cotées faisant appel public à l’épargne. Bien évidemment, les règles d’interdiction relatives à l’auto-révision fiscale continuent de s’appliquer.  

Le commissariat aux comptes

La profession de commissaire aux comptes
(Wirtschaftsprüfer) est réglementée depuis la crise économique et bancaire de 1929, particulièrement violente dans l’Allemagne de Weimar, avec le règlement de 1931, qui prévoyait désormais la révision des comptes annuels par un professionnel indépendant. 

La Chambre des commissaires aux comptes

Le Wirtschaftsprüferkammer (WPK) est le représentant officiel de la profession. Il s’agit d’un organisme public créé en 1961 dans le cadre de la loi sur l’organisation de la profession, Gesetz über die WP-Ordnung (WPO). Cette chambre est rattachée au ministère fédéral de l’Économie. 

L’institut des commissaires aux comptes : formation et adaptation des normes ISA

En ce qui concerne les instances, l’Institut des commissaires aux comptes, Institut der Wirtschaftsprüfer (IDW), regroupe sur une base d’adhésion volontaire, au 31 décembre 2019, 13 107 membres, soit 12 006 commissaires aux comptes (81 % des commissaires aux comptes) et 1 101 sociétés de commissariat aux comptes. 

l’Institut des commissaires aux comptes ou IDW assure la formation continue de ses membres. Par ailleurs, l’IDW, en tant que membre de l’Ifac, a assuré, à partir de 1998, la transformation des normes locales aux standards des normes ISA, sous forme des IDW Prüfungsstandards (IDW PS). Ce processus a été abandonné à la fin 2017 pour lui substituer un processus d’intégration directe des particularités locales directement dans les normes ISA qui deviennent ISA (DE) à partir de 2021.

L’examen annuel de Steuerberater comprend 3 épreuves :

• procédures fiscales, TVA et impôt d’héritage ;

• droit comptable ;

• droit fiscal (IR, IS, TP, impôt foncier, intégration fiscale) sur la base des textes de loi, de la jurisprudence de l’administration fiscale en règle au jour de l’examen et des textes de décrets fiscaux.

L’examen bisannuel de Wirtschaftsprüfer comporte normalement 7 épreuves : 2 en droit fiscal, 1 droit commercial, 2 en économie et 2 en audit (y compris évaluation d’entreprises). Aussi, la plupart des candidats ont déjà passé l’examen annuel de Steuerberater (voir ci-dessus) avant de tenter l’examen de WP. Les épreuves de droit fiscal sont supprimées pour les conseillers fiscaux. 

Signalons qu’il existe une voie universitaire (dite § 8 a WPO ou § 13  b WPO, correspondant à la MSTCF en France) qui permet, dans le meilleur des cas, d’être dispensé de certaines épreuves à l’examen d’audit et de droit fiscal (soit 4 épreuves).

L’examen de WP est ouvert à tout détenteur d’un diplôme universitaire (bachelor ou master) ayant suivi ensuite un stage professionnel de 3 ans (pour un master) ou de 4 ans (pour un bachelor). Si l’économie, le droit ou la fiscalité sont toujours les « voies royales », l’informatique mène désormais également au commissariat aux comptes. 

Les équivalences pour exercer la profession en Allemagne

Pour les ressortissants de l’Union européenne (UE), de l’Espace économique européen (EEE) et de la Suisse, il existe en Allemagne, comme dans tous les pays de l’UE, une possibilité de reconnaissance du diplôme national de commissaire aux comptes, doublée d’un concours d’aptitude annuel national en allemand qui a lieu chaque année à Berlin. La session écrite se déroule en même temps que la session d’été de l’examen de WP du Land de Berlin, suivi d’un oral en décembre. L’écrit comporte deux épreuves et porte sur le droit commercial/civil et la fiscalité allemande, essentiellement sur la loi sur l’impôt sur le revenu (IR) et la loi sur l’impôt sur les sociétés (IS), mais peut aussi porter sur des points de procédure fiscale. 

La digitalisation dans les cabinets

La digitalisation représente une opportunité pour les cabinets d’audit de rendre leur activité plus efficace à long terme et de s’assurer d’une plus grande fiabilité. À l’avenir, la profession de commissaire aux comptes ne signifiera plus seulement l’examen juridique et comptable de la légalité des comptes annuels, mais aussi l’approfondissement et l’intérêt pour les processus technologiques. Pour la formation des futurs auditeurs, cela signifie que les connaissances en comptabilité et en fiscalité devront être complétées par l’enseignement de connaissances de base en statistique et en informatique ainsi que de modèles économiques numériques. 

La profession en chiffres

Au 1er janvier 2022, le nombre de conseillers fiscaux est de 89 900 Steuerberater (et comptables agréés) contre 14 600 Wirtschaftsprüfer. La profession s’est internationalisée aussi bien pour les conseillers fiscaux, notamment pour la fiscalité internationale que pour les commissaires aux comptes. L’Allemagne est la première destination des investissements américains en Europe depuis un siècle. 

En 2020, le marché allemand du commissariat aux comptes et du conseil fiscal a atteint un montant total de 16,7 milliards d’euros. 

L’activité économique 

Sur la base des travaux du cabinet de conseil Lünendonk, le chiffre d’affaires des 25 principaux cabinets a augmenté en moyenne de 5,3 % au cours de l’exercice 2020 (2019 : 6,4 % ; 2018 : 7,8 %). Il a franchi pour la première fois la barre des 10 milliards d’euros (10,2 milliards d’euros). La Covid-19 n’a pas eu d’impact notable sur le secteur. Les quatre principaux cabinets anglo-saxons pèsent à eux seuls 8,2 milliards d’euros, toutes activités comprises. Au-delà de ces cabinets, il existe un groupe de plus de 20 cabinets de taille moyenne comptant chacun plus de 200 collaborateurs et un chiffre d’affaires total de 2 milliards d’euros en 2020, avec une couverture régionale ou nationale. 

En 2020 et plus encore en 2021, on note une stagnation suivie d’un léger recul du chiffre d’affaires des quatre principaux cabinets anglo-saxons, qui passe de 8,2 milliards d’euros en 2020 à 8 milliards d’euros en 2021. En revanche, le chiffre d’affaires des cabinets de taille moyenne poursuit sa croissance régulière et passe de 2 milliards d’euros en 2020 à 2,1 milliards en 2021. 

L’avenir du Mittelstand

Le Mittelstand souhaite le maintien de relations d’affaires à long terme avec son commissaire aux comptes. Ainsi, ce n’est pas sans raison que, dans le passé, les exigences plus étendues des certifications légales applicables aux sociétés faisant appel au marché des capitaux n’ont pas été généralisées à l’ensemble du marché allemand de l’audit. 

De plus, la concentration des mandats d’audit du DAX 40 sur les principaux cabinets anglo-saxons ne concerne que le DAX 40, tandis que les autres mandats d’audit hors DAX 40 sont répartis entre de nombreux cabinets d’audit. Cela démontre la nécessité d’un traitement différencié des cabinets de grande taille et des cabinets de taille moyenne. La certification des entreprises locales allemandes ne faisant pas appel public à l’épargne ou n’appartenant pas aux secteurs bancaires ou aux fintechs ne doit pas être rendue trop exigeante par trop de contraintes réglementaires uniquement nécessaires pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.

La confiance dans la profession de commissaire aux comptes a été ébranlée par le scandale de l’effondrement, en juillet 2020, du prestataire de services financiers Wirecard, qui était coté au DAX 30. 

Le législateur a réagi très rapidement et de manière concentrée avec la « Loi sur le renforcement de l’intégrité des marchés financiers (FISG) », qui a été adoptée par le Bundestag et le Bundesrat fin mai 2021, pour une mise en vigueur le 1er juillet 2021. 

La loi FISG contient un grand nombre de mesures individuelles, qui visent principalement à renforcer le gouvernement d’entreprise dans les sociétés par actions cotées en Bourse et autres sociétés d’intérêt public. 

En outre, la loi vise à renforcer l’efficacité du contrôle légal des comptes, en particulier dans les sociétés cotées, par une responsabilité accrue des commissaires aux comptes, une obligation de rotation des commissaires aux comptes après 10 ans et la stricte séparation du contrôle des comptes et de conseil fiscal. 

Enfin, le contrôle de la profession est désormais assuré directement par la BaFin pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.

Les domaines d’intervention et l’interprofessionnalité

Du fait qu’en Allemagne, il est possible de servir plusieurs ordres à la fois, la plupart des cabinets sont pluridisciplinaires et regroupent aussi bien des avocats, des conseillers fiscaux, que des commissaires aux comptes. Comme indiqué ci-dessus, cela correspond pleinement aux demandes du Mittelstand. 

Le conseiller fiscal est le premier conseiller de l’entrepreneur individuel ou du gérant d’une société du Mittelstand en Allemagne, pour l’établissement de ses comptes annuels sur des bases fiscales et l’établissement des déclarations fiscales personnelles et de l’entreprise. 

Contrairement à un pays comme la France, la majorité des sociétés allemandes sont des sociétés de personnes, généralement en KG ou plus encore en GmbH & Co. KG 2, où il n’est pas fait de distinction fiscale entre le patrimoine professionnel de l’entrepreneur et le patrimoine de sa société : il n’existe qu’une seule séparation, entre le patrimoine professionnel de l’entrepreneur et le patrimoine privé de l’entrepreneur. Le conseiller fiscal assiste donc le chef d’entreprise pour l’optimisation de son patrimoine personnel et professionnel et la structuration fiscale et financière de son patrimoine (acquisition, cession, scission, fusion, filialisation).

Il le conseille pour la succession dans son entreprise toujours au niveau de son patrimoine personnel et professionnel. Ce sujet est particulièrement important fiscalement dans le cas des nombreuses sociétés familiales allemandes. Enfin, il a une expertise dans le domaine de l’impôt d’héritage qu’un entrepreneur avisé et bien conseillé anticipe de son vivant. 

La fiscalité, pilier de la profession

L’Allemagne étant un grand pays d’exportations le conseiller fiscal ou Steuerberater possède des connaissances fiscales très étendues en droit allemand, mais aussi de plus en plus à l’international, dans le domaine de la législation fiscale, mais également des décrets de l’administration et de la jurisprudence fiscale. Le conseiller fiscal assiste l’entreprise et l’entrepreneur lors des contrôles fiscaux. Il peut même prendre à sa charge par délégation de l’entrepreneur toute la gestion d’un contrôle fiscal. 

Le conseil fiscal de « haut niveau », en restructuration juridique et fiscale ou intégration fiscale requiert les compétences en analyse financière, en analyse économique et en analyse des comptes consolidés du commissaire aux comptes en plus de celles du conseiller fiscal. 

Le commissaire aux comptes (Wirtschaftsprüfer, WP) doit également avoir de solides connaissances fiscales acquises comme Steuerberater en plus de la connaissance de la mise en œuvre du référentiel d’audit ISA(DE). 

Même si la prépondérance du Code de commerce sur les lois fiscales est une référence de base, une connaissance approfondie des règles fiscales est nécessaire, ainsi les futurs commissaires aux comptes passent-ils en général d’abord l’examen de conseiller fiscal et d’autre part l’audit légal.

En revanche, la loi FISG a exclu le conseil fiscal des sociétés cotées pour les commissaires aux comptes en charge de la révision légale des comptes. 

Enfin, les entreprises allemandes ont l’obligation de constituer aussi bien sur le plan social que fiscal, sous certaines conditions, des provisions pour retraites (et autres engagements assimilés). Il s’agit d’un élément de rémunération différée, souvent très significatif, pour tous les salariés et notamment pour les cadres et principaux dirigeants d’entreprise. De bonnes connaissances de base en mathématiques financières et une bonne connaissance des règles fiscales, des règles du Code de commerce et des règles IFRS pour les sociétés cotées sont nécessaires. 

Les évolutions significatives en cours de la profession portent sur les conséquences de la loi FISG, sur l’éventualité de la mise en place d’un audit conjoint des sociétés faisant appel public à l’épargne, mais aussi très bientôt sur l’extension de nos diligences sur l’information extra-financière et la taxonomie verte.

Plus encore, depuis la loi FISG, le périmètre du commissariat aux comptes comprend d’une part l’audit légal des sociétés faisant appel public à l’épargne etd’autre part l’audit légal des sociétés non cotées. Il existe une dichotomie accrue entre d’une part des commissaires aux comptes avec une connaissance approfondie des normes IFRS et d’autre part, des commissaires aux comptes avec une connaissance approfondie de la fiscalité allemande. La séparation du conseil fiscal et du commissariat aux comptes des sociétés cotées offre des opportunités de développement aux cabinets de taille moyenne.   

Compte tenu de la concentration des mandats du DAX 40 essentiellement sur trois cabinets anglo-saxons, les discussions autour de la loi FISG ont également porté sur l’audit légal conjoint pour les sociétés cotées. À ce stade, et malgré de nombreux débats, la loi FISG adoptée en mai 2021 suite au scandale Wirecard n’a pas créé d’obligation pour les entreprises de mettre en place l’audit légal conjoint des comptes. Outre la question de l’amélioration espérée de la qualité de l’audit et d’une meilleure répartition des mandats, les modalités de mise en œuvre d’un audit légal conjoint font débat. La question est de savoir si l’audit conjoint doit être effectué obligatoirement par un cabinet anglo-saxon et un cabinet local. 

1. En Allemagne, le terme de « Mittelstand » est une notion courante pour désigner tant l’artisan que l’entreprise de plus de 1 000 salariés. https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/eti-et-mittelstand-allemand-deux-notions-au-contenu-tres-different

2. GmbH & Co. KG : il s’agit de la combinaison de deux sociétés, à savoir une société à responsabilité limitée (Gesellschaft mit beschränkter Haftung, GmbH) et une société en commandite simple (Kommanditgesellschaft, KG). La GmbH est l’associé commandité de la KG avec une responsabilité illimitée et qui gère la société (revenus professionnels) tandis que les associés commanditaires
de la KG sont généralement des personnes physiques sans responsabilité de gestion et dont l’engagement financier est limité à leur apport dans la KG (revenus mobiliers).

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